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La révolution 4.0 qui vient.
Article mis en ligne le 27 septembre 2019
dernière modification le 28 novembre 2019

Très intéressante réflexion sur le site expansive

En m’orientant vers les mutations capitalistes concernant la « crise écologique », je me suis rendu compte qu’il y avait actuellement une tentative globale de refonte du capitalisme, appelée 4e révolution industrielle et impulsée par le Forum Économique Mondial. Très peu de personnes dans mon entourage n’étaient au courant, ou alors la considéraient comme un fantasme technophile de plus, sans grand intérêt politique.

On le sait, les sciences sociales sont un outil permettant d’acquérir (ou de reproduire) du pouvoir sur l’objet qu’elles visent, afin d’en produire de la connaissance et donc de le rendre « lisible ». J’ai donc jugé important de faire connaitre à mes camarades de lutte cette 4RI, afin que nous puissions en produire la critique et en cibler les acteurs pour pouvoir empêcher son développement.

Le Forum Economique Mondial : temple contemporain de la secte des économistes.

En 1971, Klaus M. Schwab, économiste et ingénieur, fonde le European Management Symposium, ancête du FEM. Organisé dans le Centre des congrès de Davos en Suisse, 444 dirigeants d’entreprises sont invités à y participer, avec l’appui de la Commission européenne ainsi que d’associations industrielles. Ce groupuscule industriel néo-libéral s’est donné comme objectif de familiariser les entreprises européennes avec les pratiques de management étasuniennes, il prendra d’ailleurs, quelques années après, le nom de European Management Forum.
Cette « association à but non lucratif » a pour principale fonction d’organiser tous les ans une réunion dans le centre des congrès de Davos. Ce regroupement des principaux acteurs du capitalisme mondial est donc une sorte de séminaire où se nouent amitiés et contrats commerciaux, où s’échangent des savoirs indispensables à la bonne marche des affaires et surtout où se réaffirment une multitude de croyances et de mythes partagées.
Petit à petit, les centres d’intérêts de cette association vont s’élargir au delà du management pour se porter sur des problèmes d’ordre économiques, sociaux et diplomatiques. C’est ainsi qu’en 1974 assisteront pour la première fois à la réunion annuelle de Davos des dirigeants politiques.
En 1987, l’European Management Forum est rebaptisé World Economic Forum (Forum Économique Mondial). Aujourd’hui, l’organe principal diffusant les projets et les mythes de la 4RI est donc ce Forum Économique Mondial (FEM). Sur le papier, c’est une fondation à but non lucratif, ne défendant « aucun intérêt politique, partisan ou national ». Pourtant, il s’est donné pour mission « d’améliorer l’état du monde », ce qui relève d’un projet éminemment politique, forcément mû par une certaine utopie. Un de ses premiers objectifs affiché est donc de déployer son influence sur les conflits internationaux et trouver des solutions d’ordre géo-politique via des réponses néo-libérales.
Le FEM est donc un regroupement d’entreprises : le profil type est une multinationale réalisant un chiffre d’affaires supérieur à environ 3,7 milliards d’euros, ou qui est la meilleure dans son secteur d’activité et/ou pays, et enfin ayant un poids politique lui permettant de peser dans l’évolution future de son secteur d’activité et/ou région. A sa tête se trouve le Conseil de fondation, constitué de 22 membres, principalement des dirigeant.e.s de multinationales (industriels, publicitaires, financiers, etc.), réalisant majoritairement un chiffre d’affaire supérieur à 3,7 milliards d’euros.

Sur le site internet officiel du FEM, dans la rubrique « Notre Mission » on peut lire :

« Le Forum Economique Mondial est l’Organisation Internationale
pour la Coopération Public-Privé. Le Forum mobilise les principaux
acteurs politiques, commerciaux et autres de la société pour façonner
des programmes mondiaux, régionaux et industriels. »

Il y a là une grave imposture généralisée d’une idéologie ultra-libérale se faisant passer pour une réalité objective et neutre. Faire de « l’économie » à l’échelle mondiale, rendre les institutions sociales plus poreuses au monde marchand, planifier des « orientations » en termes de développement économique etc. Tout ça, c’est de la politique. Ces élites industrielles se sont autoproclamées comme missionnaires pour le compte de l’humanité entière et s’organisent afin d’orienter les choix technologiques, développementaux et sociaux d’un grand nombre de pays en fonction de leur vision du monde, de leur utopie, de leur progrès.

Dans son ouvrage passionnant « Être Ouragan. Écrits de la dissidence. », l’anthropologue dissident Georges Lapierre réfléchit à l’impact qu’a le déploiement d’une forme de pensée sur ce qu’on considère comme la réalité. Il écrit : « La pensée est effective ou elle n’est pas, elle est créatrice de réalité ; la pensée du marchand crée un monde, elle crée sans cesse une réalité, notre réalité. » La force de la pensée marchande à pouvoir créer sa propre réalité et se présenter comme ; a-politique, a-partisane ou a-nationale, c’est à dire transcendantale ; se mesure à l’aune de son hégémonie. Le monde dans lequel nous vivons ; mais aussi nos manières d’être au monde et aux autres, nos relations, nos émotions et désirs ; sont profondément issu.e.s d’une utopie qui s’est matérialisée afin de se prétendre être l’unique « réalité ». D’ailleurs, faire preuve de réalisme, n’est-ce pas ce que nous disent les gens, souvent plus âgés, lorsqu’on leur entrouvre les portes d’un autre imaginaire, d’une autre utopie ?

 Mais au fait, qu’est-ce que la Quatrième Révolution Industrielle ?

La 4RI est l’aboutissement d’une projection sur le monde d’une Pensée particulière : celle des leaders.euses capitalistes, de certain.e.s scientifiques progressistes et de dirigeant.e.s néo-libéraux.ales les plus influent.e.s au monde. Dans la droite ligne du dogme progressiste libéral, ce groupe de pensée détient une force de matérialisation et de réalisation gigantesque, donc une force politique diablement efficace.

L’ouvrage majeur présentant la 4RI a été dirigé par Klaus Schwab et publié en 2017, il s’intitule simplement « La Quatrième Révolution Industrielle ». L’histoire des 3 révolutions industrielles déjà effectuées est retracée de manière très synthétique.
La première s’est déroulé de 1760 à 1840 avec l’utilisation de la machine à vapeur et le développement de la production mécanisée et des chemins de fer (pour une analyse historique plus pertinente de cette période, je vous conseille le livre d’Andreas Malm, « L’Anthropocène contre l’Histoire »).
La seconde révolution industrielle, fin 19e siècle, se caractériserait par la production standardisée de masse, permise par l’électrification et l’invention des chaines de montages.
La troisième émergerait dans les années 1960 avec la naissance de l’informatique, entrainant des mutations considérables dans la production.
Enfin, la quatrième serait le prolongement de cette dernière révolution numérique. Commençant à la fin des années 1990, elle se fonderait donc sur l’universalité d’internet et l’intelligence artificielle. Sa diffusion serait extrêmement rapide et étendue, comparée aux révolutions capitalistes précédentes.

Comme toutes les révolutions industrielles, certaines technologies sont des actrices fondamentales bouleversant profondément et systématiquement les modes de production. Ce qui est aussi décrit en 23 « mutations profondes », c’est l’impact que ces technologies pourraient avoir sur les sociétés. Il va tenter de définir (avec l’aide d’experts du FEM) les « seuils de basculement » dans le développement de ces technologies, les impacts positifs (qui font souvent froid dans le dos) et les impacts négatifs (idem). Neurotechnologies, êtres humains sur mesure, internet des objets, voitures autonomes, impression 3D, robotique, blockchain, etc. (consultable ici)

 La mondialisation 4.0, le grand jeté de filet.

L’industrie 4.0 est donc basée sur un ensemble de nouvelles technologies de pointe, autours du digital et de l’informatique principalement. Cependant, son développement dépend, comme tout paradigme industriel, sur des infrastructures. Ainsi, un des principaux objectifs de la 4RI est l’extension et l’amélioration des réseaux internet et électriques, ce que le FEM nomme la mondialisation 4.0.

Jean-Baptiste Vidalou, dans son livre « Être Forêts, habiter des territoires en lutte. », nous offre une analyse philosophique et historique des réseaux (du vieux français rets, signifiant filet). Il met en lumière leur fonction gouvernementale agissant sur les territoires comme les mailles d’un filet, réduisant l’espace à une vision du monde mercantile à laquelle il devient impossible d’échapper. Les infrastructures enserrent les territoires dans un mode de vie et un imaginaire tout droit sorti de la tête du marchand, et c’est grâce à ses réseaux infrastructurels que le capitalisme et les gouvernements aujourd’hui peuvent fonctionner de manière optimale. Les réseaux (routiers, ferrés, électriques, informatiques, etc.) sont les chaines qui permettent la « mise en système » de chaque recoin du monde. Sans eux, pas de circulation de marchandise, mais pas non plus de déploiement rapide de gendarmes mobiles, pas de publicité ni de propagande, donc pas de manipulation des affects.

Un des axes majeurs de la 4RI est la fusion des réseaux électriques et informatiques, appelés SmartGrids, ou encore réseaux intelligents. C’est le prospectiviste Jeremy Rifkin qui l’avait proposé déjà en 2012 dans son livre intitulé « La Troisième Révolution Industrielle » (considérant qu’il n’y aurait eu que 2 révolutions antérieures, contrairement à Schwab). Ressemblant à une esquisse de la 4RI, il préconise la mise en place d’un complexe technico-industriel basé sur des piliers technologiques tels que : les énergies renouvelables, l’expansion de ses énergies aux habitats individuels, l’hydrogène pour stocker de l’énergie, l’internet pour réguler les flux énergétiques (smarts grids) et les véhicules électriques. Relativement méconnu dans les milieux anticapitalistes, les plus vives critiques viendront du monde des économistes. En effet, il manque le pilier central pour construire ce nouvel édifice : le financement. L’ouvrage comporte en effet de grosses lacunes sur les questions financières, lacunes auxquelles les théoriciens de la 4RI ont tenté de répondre.

On peut lire dans son ouvrage la phrase suivante :

« les cinq piliers de la troisième révolution industrielle ne sont en fait que
des outils qui peuvent nous donner les moyens de réintégrer le monde naturel.
Ils nous permettent de réorganiser nos vies sur un mode qui reconnaît
à nouveau les interdépendances de la biosphère commune que nous
partageons avec les autres êtres vivants. »

Comment Rifkin en arrive-t-il à penser que des éoliennes industrielles, des barrages hydroélectriques, des compteurs linky, des smartphones, des voitures électriques, etc. puissent permettre aux individus occidentaux de retrouver une mode de vie dans le partage avec les autres espèces vivantes de la planète ?

Rappelons rapidement que les prérequis aux énergies renouvelables industrielles sont : l’exploitation d’être humains dans des conditions de pauvreté et de danger inacceptables, l’extraction de métaux précieux et de matériaux en quantités astronomiques, des infrastructures logistiques permettant leur transport, et l’impossibilité de recycler ces machines, qui ont une durée de vie limitée. De plus, l’implantation de fermes éoliennes ou solaires se fait souvent dans des dynamiques de colonisation intérieure et au détriment des populations locales qui la plupart du temps ont une empreinte sur le climat très faible, en comparaison à celleux qui utiliseront cette « smart-électricité ». En France par exemple, les ravages de l’autoritarisme de l’éolien industriel sont dénoncés par l’Amassada (qui ont réalisé un très bon documentaire : « Pas Res Nos Arresta »), ainsi que dans une mesure encore plus gigantesque, les luttes indigène de l’Isthme de Tehuantepec au Mexique (très bon documentaire aussi : « Nous sommes le Vent »).

Comme met en garde Jean Baptiste Vidalou, le développement de ces industries permettra d’offrir des perspectives nouvelles pour les entreprises et les États. A la fois, de refonder les mécanismes de croissance économique, ainsi que d’étendre les capacités de surveillance et de gouvernance des individus au travers notamment de la collecte massive de données (internet des objets, digitalisation administrative, maison connectée, etc.), une surveillance de masse plus fine (grâce à l’intelligence artificielle notamment), mais aussi une extension et automatisation de la gestion des flux.

Cette techno-utopie est déjà à l’œuvre en France depuis 2013 et semble avoir trouvé quelques financements via des partenariats renforcés entre les institutions publiques et privées. Avec par exemple le projet « rev3 » dans le Nord-Pas-de-Calais : fond d’investissement de 50 millions d’euros pour lancer les entreprises. Autre exemple, la chaire internationale sur les réseaux électriques intelligents ouverte en janvier 2015 à Nantes et financée conjointement par l’Ecole centrale et RTE (Réseau de Transport d’Electricité), articulant notamment l’IRCCyN (Institut de Recherches en Communication et Cybernétique) et le GeM (Institut de recherche en Génie civil et Mécanique).

 Le renouvellement du mythe du progrès.

Un des buts affichés par Rifkin concernant cette « révolution », c’est de créer « un récit impressionnant qui frappe l’imagination populaire et [qui] fournit un cadre à la mobilisation totale de la société ». Au travers de cette citation soigneusement relevée par Vidalou, nous avons les éléments clés pour comprendre cette révolution capitaliste sous le prisme à la fois de la science du gouvernement, mais aussi de la mythologie.

Comme le rappelle l’anthropologue et archéologue Jean Loïc Le Quellec dans une très bonne conférence (« Mythe, Religion et Croyance. »), le terme « mythe » vient du Grec mûthos, qui signifie un « récit » ou une « fable » (à ne pas comprendre avec le sens actuel mais dans le sens latin de fabula, qui veut simplement dire parler.) qui s’intéresse plus au fond qu’à la forme (en opposition avec le récit logos ou le récit plasma qui eux ont été « bricolés », « arrangés » ou spécialisés.). Le sens commun du mythe aujourd’hui est issu d’une détérioration de sa valeur, c’est un récit auquel on ne croit pas, lié aux croyances a-logiques ou irrationnelles. En outre, le mythe se distingue des autres récits de par son contenu : c’est très souvent un discours sur les origines des choses, un discours qui répond à des questionnements existentiels et décrivant des ruptures et ses conséquences entre une situation originelle et une situation actuelle.

Ce qui constitue la force d’un mythe, c’est sa capacité à être vrai pour celleux qui y croient. On reconnaît un mythe lorsqu’il vient contredire notre propre vérité. « Dans les cultures dans lesquelles il s’énonce, le mythe dit toujours la vérité ». Pour reconnaître un mythe il faut donc de l’altérité. Ne pas croire, c’est être extérieur au groupe dans lequel il s’énonce comme vrai. Cette altérité, ou éloignement culturel, spatial ou temporel, permet ainsi de distinguer ce qui relève du mythe chez l’Autre. Cependant, percevoir les mythes d’un peuple avec lequel nous n’avons pas cette distance (c’est à dire le notre) est bien plus complexe.

« Les lois de la thermodynamique régissent l’ascension et la chute
des systèmes politiques, la liberté ou l’asservissement des pays,
les mouvements du commerce et de l’industrie, l’origine de la richesse
et de la pauvreté et le bien-être physique général de notre espèce. »

Cette rhétorique prophétique contient toutes les caractéristiques du mythe. Il y a « les lois », « l’origine » et « l’espèce ». Les historien.ne.s apprécieront d’apprendre que dans leurs recherches iels sont passé.e.s à côté du principal.e acteur.e historique, universel.le et omniprésent.e de l’histoire des sociétés humaines : les « Lois de la thermodynamique ».

Cependant, cela n’empêche pas d’analyser les résultats en terme sociétaux que peuvent produire ces technologies. Jean-Baptiste Vidalou définit le déploiement de ces nouveaux réseaux « smart » comme une « mise en gestion généralisée » des populations et des ressources, selon lui, « contrôle de l’environnement et contrôle des affects sont devenus, à présent, les deux pôles indissociables des nouvelles formes de gouvernementalité » basée sur les technologies de pointe permettant de « saisir le réel de manière immanente, quasi instantanément ». Désormais pour l’économie « il ne s’agit plus pour elle d’exclure ce qui sort de la moyenne, d’interdire ce qui contrevient à la norme, mais d’éviter l’imprévisible, de conjurer l’évènement. »

 La révolution marchande en marche.

Le 30 avril 2019 à Medellin en Colombie, se tenait l’inauguration du premier Centre pour la 4RI dans le hub d’innovation Ruta N en présence notamment d’Ivan Duque (président de la Colombie) et de Federico Gutiérrez (maire de Medellin). Piloté par le FEM, ce centre aura pour but d’impulser les nouvelles technologies indispensables à cette révolution capitaliste sur le sol colombien et sud américain. Une conférence de presse (disponible ici) fut donnée pour l’occasion, en présence de Murat Sönmez à la tête du « Center 4 Industrial Revolution Global Network » (C4RI Global Network), qui confirme d’entrée de jeu, l’aspect guerrier et colonial de la 4RI : « Dans la quatrième révolution industrielle, ce n’est pas le gros poission qui va manger le petit, c’est le poisson rapide qui va manger le poisson lent. » Bon appétit.

Dans toutes les déclarations des acteurs du FEM, on remarque clairement que la cible de ces mutations est clairement l’être humain et sa relation à son environnement. Ce qui est affirmé, c’est une volonté de changer profondément notre intégration au monde.

« Cette quatrième vague de mondialisation doit être centrée sur l’être humain,
inclusive et durable. Nous entrons dans une période de profonde instabilité mondiale
provoquée par le bouleversement technologique de la quatrième révolution industrielle
et le réalignement des forces géo-économiques et géopolitiques. Nous avons besoin
que les dirigeants de tous les groupes des parties prenantes à Davos mobilisent
l’imagination et l’engagement nécessaires pour s’y attaquer. »
(Klaus Schwab, « Qui participe à Davos 2019  ? »)

La rencontre annuelle du FEM s’est donc tenue à Davos du 22 au 25 janvier 2019 et a réuni plus de 3000 participants « pour discuter de la manière de construire une meilleure version de la mondialisation. » Articulée autours de six « dialogues critiques » (la géopolitique dans un monde multiconceptuel, l’avenir de l’économie, les systèmes industriels et la politique technologique, la résilience au risque pour promouvoir la pensée systémique, le capital humain et la société, et la réforme institutionnelle mondiale.), cette rencontre pense pouvoir statuer de l’avenir de l’humanité en 4 jours. Attitude qui relève, soit de l’expression de vertus diplomatiques extraordinaires de la part des participant.e.s, soit de l’absence totale de critique radicale, ce qui ferait plutôt de cette rencontre un monologue de fanatiques.

Il n’apparait pas du tout absurde d’émettre l’hypothèse que le paradigme civilisationnel dans lequel s’inscrit cette rencontre ne permette en aucun cas d’émettre des idées critiques puissantes permettant de remettre en question les fondements religieux qui le soutiennent.

« La pensée de l’échange à venir avec d’autres personnes et une pensée effective,
c’est elle qui anime le sujet cherchant à travers son activité à la réaliser, reproduisant
ainsi la vie sociale. Dans le monde que nous connaissons, cette pensée de l’échange
prise dans sa dimension sociale est confisquée par une catégorie de la population,
qui a réussi à imposer à l’ensemble de la société l’idée bien particulière et bien
réductrice qu’elle se fait de l’échange. »
(Georges Lapierre, Être Ouragan)

Cette catégorie de la population, ce sont les grands marchands, et leurs fidèles conseiller.e.s et serviteur.e.s. L’idée qu’iels se font de l’échange, c’est l’échange marchand, et l’échange numérique, avec comme médiatrice la technologie de pointe.

A défaut de pouvoir faire une analyse sociologique détaillée des 3000 participant.e.s à cette rencontre, on peut déjà faire des observations tout à fait illustratives de l’orientation politique et idéologique du FEM et de certains de ses acteurs principaux.
Nous avons accès sur le site internet officiel à quelques données concernant les participant.e.s au sommet de Davos 20191. Sur les 3000 environ, plus de 2/3 provenaient d’Amérique du Nord (860) etd’Europe Occidentale (1159), ce qui nous permet de dire que cette rencontre s’est faite dans un certain ordonnancement des pouvoirs. En comparant d’autres chiffes, les inégalités deviennent réellement indécentes. En additionnant le nombre de participant.e.s venant d’Afrique, Amérique Latine, Océanie et EuropeCentrale et Orientale, on obtient seulement 324 participants, autant que la Suisse. Il faut y ajouter le Moyen-Orient et l’Asie du Sud pour atteindre 800, le même nombre de participant.e.s des États-Unis.2Force est de constater aussi que la femme y est représentée à seulement 22 %. Les 10 pays les plus représentés(Etats-Unis, Suisse, Royaume-Uni, Allemagne, Inde, Chine, Japon, France, Emirats Arabes Unis, Canada et Afrique du Sud) représentent à eux seuls 72,22 % des participant.e.s par rapport aux 94 autres pays présents.

Au vu de ce petit aparté statistique, on peut largement affirmer que le but de cette rencontre n’est absolument pas à orientation démocratique ou représentative, mais économique, et qu’elle reflète assez bien la hiérarchie mondiale en terme de pouvoir industriel, financier, culturel et spirituel. Nous allons maintenant analyser des images tirées d’une vidéo disponible sur la chaine Youtube officielle du FEM afin de mettre à jour cette ontologie bien particulière qu’il se propose d’imposer à l’humanité entière.

 La Pensée 4.0, ou la colonisation du cosmos.

Dans une vidéo publiée le 14 avril 2016 intitulée « La Quatrième Révolution Industrielle | En Bref » on peut avoir un aperçu succin mais varié de la pensée 4.0. Plusieur.e.s acteurs.rices du capitalisme mondial interviennent tour à tour sur un sujet qu’il défendent. La médecine, les énergies, l’éducation, la réduction des inégalités, l’urbanisme, etc.
Ce spot publicitaire commence par une aberration historique qui ferait frémir Andreas Malm : « La première révolution industrielle est née de la découverte que les moteurs à vapeur étaient la solution à tout. » Au contraire, l’analyse historique de l’essor du capitalisme fossile réalisé par ce dernier montre bien en détail les différentes forces qui ont agi afin de provoquer l’utilisation et l’expansion de la machine à vapeur et du charbon. Il nous montre aussi que les intérêts politiques à la normalisation et le développement de la machine à vapeur étaient prédominants. Faire tourner une usine à la vapeur permettait surtout de réprimer les aspirations du mouvement ouvrier de l’époque vis à vis des acquis sociaux . En leur imposant une spatialité artificielle et maitrisée, il était plus facile de condenser les travailleur.e.s aux alentours des villes, là où des masses prolétariennes habitaient en nombre et pouvaient être mises en concurrence.

« Une des caractéristiques de la quatrième révolution industrielle
est qu’elle ne change pas nos activités, elle nous change nous. »

Qui ne serait pas ravi d’apprendre que la pensée de Klaus Schwab, le nec-plus-ultra des élites marchandes de ce monde, grand guru du Club de Davos, projette consciemment de changer les êtres humains selon l’idée qu’il se fait du progrès ? Stewart Wallis, détenteur de la plus haute distinction britannique (Order of the British Empire), chef d’entreprise et ancien membre d’Oxfam, ajoute sa pincée d’humanisme au projet : « Nous devons adopter un système qui nous permettra de répondre aux besoins de chaque habitant de la planète et ne visera pas la croissance à proprement parler mais l’amélioration du bien-être humain. » Cette phrase tout à fait consensuelle ne peut qu’être approuvée, elle entretien cependant la smart-utopie 4.0. Quelle peut bien être l’idée qu’il se fait du bien-être pour promouvoir une fuite en avant vers une société cybernétique ? Il serait intéressant de savoir si réellement, l’idée qu’il se fait du bien-être nécessite la collecte massive de données, l’internet des choses, la géo-ingénierie, la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, etc.

« On a la technologie pour alimenter nos civilisations,
mais comment la rendre accessible et l’appliquer à
l’échelle requise, à un prix abordable pour tous ? »

Cette phrase, prononcée par Naomi Oreskes, professeure d’histoire des sciences de la terre à Harvard, est illustrée dans la vidéo par des champs d’éoliennes industrielles, figure symbolique du capitalisme vert. Les éoliennes sont, comme la plupart des hautes-technologies, des machines issues d’une exploitation de matériaux rares et d’une main d’oeuvre bon marché maltraitée. Elles sont aussi porteuses d’un imaginaire fascinant. Symboliquement, la représentation qu’on se fait de l’éolienne est majestueuse : élégance, propreté et puissance. Sur fond de coucher de soleil, cette image magnifique mobilise des affects positifs. Ce qui est non dit, mais pourtant est l’objet de cette affirmation, c’est l’idée qu’une transition énergétique totale est possible tout en maintenant le niveau de croissance actuel du capitalisme. Cependant, un autre historien, Jean-Baptiste Fressoz, affirme que : « si il y a une chose que l’histoire nous apprend, c’est qu’il n’y a jamais eu de transition énergétique dans le passé. » Les technologies énergétiques se sont toujours superposées et non remplacées. C’est donc à un discours qui relève plus de la croyance que du pragmatisme scientifique auquel nous avons affaire. Il rajoute notamment une idée qui serait malvenue de dire à Davos : « La crise de 1929 c’est un moment où au niveau global les émissions de CO2 baissent très fortement. » Ainsi, il y a très clairement une corrélation entre croissance (ou fonctionnement de l’économie) et émissions de gaz à effet de serre (GES).

« Il faut créer un espace permettant de penser librement,
d’avoir des pensées divergentes et créatives. »

Cette affirmation est également très consensuelle, il est éthiquement difficile de prétendre vouloir le contraire. Sous une énonciation qui apparaît comme universelle, cependant, l’image choisie pour illustrer ce propos renvoie à un type d’espace totalement contraire à l’idée que le sens commun pourrait se faire d’un espace libre. En effet, la première partie de cette phrase est illustrée d’une rétine entrain d’être scannée. Comme un grand nombre de technologies de pointe, les premières utilisations de ce type d’identification furent testées dans l’armée, ici américaine. De nos jours, cette technologie appelée retina-scan est utilisée dans les lieux de très haute sécurité de type CIA ou FBI, certaines prisons (pour contrôler les prisonniers) et dans certaines banques. Est donc associée la liberté de penser à un imaginaire d’enfermement, de coercition, d’incarcération et de sécurité dans le sens autoritaire du terme.
L’illustration de la seconde partie de la phrase est tout autant révélatrice. C’est une prise de vue commune d’un escalator dans un couloir, probablement de métro, dans une grande ville. Un espace dédié à la circulation des flux humains impulsés par l’activité marchande. Lieu d’intime proximité physique avec d’autres individus, parallèlement à une distance émotionnelle et spirituelle abyssale les séparant. Cette image est un symbole des masses, de l’homogénéisation et de l’individualisme des sociétés industrielles. Expérience commune à chaque citadin.

A cette étape de l’analyse, une sensation étrange m’envahit : c’est comme si les énoncés et les images étaient en négatif, en stricte inversion. Un doute plane sur les intentions stratégiques mises dans cette vidéo à visée propagandiste. Est-ce possible d’associer consciemment ces images et ces paroles ? A quel point la pensée qui s’exprime ici est-elle fondamentalement plongée dans son propre dogme ?

Et puis, le patron de Hitachi, Hiroaki Nakanishi, vient répondre à mes interrogations : « Nous avons un grand besoin de nouvelles connaissances et de nouvelles formations. » Nous arrivons ici à un point important de la reproduction du dogme : l’éducation des nouvelles générations afin de les préparer à vivre dans ce nouveau monde qui les attend. Robotique, Mathématiques, Sciences, etc.
Mary Barra, de General Motors Company essaye de motiver des élèves dès le CE2 à s’orienter dans ces domaines. Car la technologie numérique ; selon Satya Nadella, directeur général de la plus grande capitalisation boursière de la planète, Microsoft Corporation ; est porteuse d’une force magique extraordinaire : elle est capable de « changer la donne » ainsi que de « donner le pouvoir aux gens », ce qui nous amènera à vivre une « croissance plus équitable ».
Un de ces fameux pouvoirs mystiques de la technologie, c’est par exemple de mettre la lumière sur les inégalités sociales, comme avec le programme de réalité virtuelle A Day In The Life Of A Refugee, ce qui permettra « de les rendre moins acceptables à l’avenir », mais tout de même acceptables ?

Puis, tout à fait bien agencé dans le déroulement des discours, apparaissent les exploits de la médecine. Un des piliers centraux de la mythologie industrielle et progressiste.

« Nous devons assumer nos responsabilités à chaque échelon
de la société afin de nous adapter à ces défis technologiques
qui redéfinissent notre intégration totale dans un tel monde. »

C’est encore la nécessité de la « mobilisation totale » de la société, déjà présente dans le récit de la troisième révolution industrielle. Présentés comme une émanation divine, nous sommes responsables de notre acceptation ou non de ces « défis technologiques » qui entendent bien modifier profondément nos relations avec le cosmos. Jon Kabat-Zinn est un membre du Mind and Life Institute (organisation d’investigation des liens entre le bouddhisme et la science) et fondateur du centre pour la pleine conscience en médecine de l’université médicale du Massachusetts. Mêlant à la fois passion pour la science et le bouddhisme, c’est un expert des états de conscience modifiés (notamment par la méditation). En image, au lieu d’une personne en état de méditation et de sérénité, on voit des personnes dont la tête est équipée d’œillères bien particulières, des Gear VR (Virtual Reality). Il est intéressant de s’arrêter un instant sur ces « engrenages » de la réalité virtuelle, développés par Samsung.

Sur leur site internet officiel, on découvre cet objet plein de promesses métaphysiques et spirituelles.

« Grâce à l’écosystème Réalité virtuelle, découvrez une infinité de possibilités et plongez dans un univers de liberté pour voir, partager, explorer ou vivre de nouvelles expériences. »

« Experience the world and beyond »
« Explorez de nouvelles dimensions »

« Plongez sans plus attendre dans l’univers de la réalité virtuelle. »

« Conçu pour être confortable,
le Gear VR sait se faire oublier lorsque vous le portez.
Vous pouvez désormais passer des heures à jouer
ou à découvrir de nouvelles expériences. »

« Le Gear VR est tellement léger que vous n’y ferez
même plus attention lorsque vous explorerez
de nouveaux mondes grâce à la réalité virtuelle. »

« Rapprochez-vous »
« Que vous soyez voisins ou à des milliers de kilomètres,
Occulus Room et Occulus Parties vous donnent la possibilité
de passer du temps virtuellement avec vos amis.
Enfilez votre Gear VR, créez votre avatar et c’est parti ! »

La galaxie Samsung nous parle, elle est la pensée objectivée d’une société en quête de vie. Le reflet d’une recherche viscérale de sens (dans tous les sens du terme) et d’expérience hors du commun. L’élite de la pensée marchande dépense une énergie considérable pour renouveler en permanence ses promesses de satisfaction, promettant aujourd’hui une évasion au-delà même du réel, désir symptomatique des sociétés post-modernes.

« Il y a, dans ce royaume de la marchandise, un coté illusionniste,
qui veut que le spirituel se donne à voir tout en s’escamotant.
La marchandise est le miroir dans lequel Narcisse se noie. »
(Geroges Lapierre, Être Ouragan.)

L’image suivante, représentant un homme aborigène dans un paysage désertique, est tirée du film 360° « Collisions », produit par le FEM et diffusé la première fois lors de la rencontre de Davos en 2016. Dans ce film, on y voit le personnage principal, Nyarri Nyarri Morgan, qui partage avec le spectateur occidental immergé, son premier contact notre monde marchand dans les années 1950 : une explosion nucléaire. Originaire de la communauté Parnngurr, en plein désert Pilbara, Nyarri Nyarri Morgan conte désormais dans le monde entier, au travers de la réalité virtuelle, certains bouleversements qu’a connu le peuple Martu en collision avec le monde occidental.

Il est intéressant d’observer que la seule apparition d’un indigène se fasse à ce moment là. Tout comme la seule apparition des réfugiés apparaît aussi avec la réalité virtuelle. Ces fantasmes de « nouveau monde », de « nouvelles dimensions », d’ « univers de liberté », étayés par l’utilisation de représentations caricaturales (et aussi fantasmées) d’une culture indigène ont pour objectif de créer le mirage d’une marchandise universelle qui se rapprocherait de la réalité cosmologique d’autres peuples, tout en s’artificialisant toujours plus. Derrières des promesses hyperréelles de connexions des mondes, c’est en fait un gouffre existentiel qui se creuse via des technologies alimentées par la destruction même de ces alter-pensées matérialisées dans des sociétés subissant la prédation perpétuelle de la marchandise.

Ce succès de l’histoire d’un Aborigène découvrant la société occidentale via un test nucléaire est tristement révélatrice. A la fois de la lucidité cynique de la puissance destructrice que représente la civilisation occidentale : rappelons que si la puissance nucléaire militaire mondiale venait à être utilisée, le scénario le plus optimiste (réalisé par l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons) prévoit des centaines de millions de morts dans l’heure, voire des milliards. S’en suivrait un hiver nucléaire tout aussi dévastateur. Mais aussi d’une sorte de fanatisme dans l’incapacité à penser un futur en dehors d’un développement exponentiel de technologies alimentée actuellement en grande partie par cette même énergie nucléaire (et matériellement dépendante d’un extractivisme lui aussi dévastateur).

Dans son ouvrage brillant « Rêves en Colère. Avec les Aborigènes australiens. », l’anthropologue Barbara Glowczewski nous confie sous formes de leçons, les apprentissages cosmologiques qu’elle a pu éprouver au contact des sociétés Aborigènes. Dans une forme de récit total, elle nous plonge au cœur de leur monde et nous fait entrevoir l’immensité qui sépare notre culture de la leur et l’incommensurabilité de nos manières d’habiter le monde.

« Les élans libertaires, situationnistes, féministes et artistiques d’hier
et tous les mouvements actuels qui continuent à chercher les lois
du désir sont devenus les cibles des pourfendeurs d’imaginaire.
On confond le virtuel et l’irréel, et l’on prend les fantômes pour les
preuves des traces de passage de ce qui fait la vie. Or les populations
qui croient aux fantômes en les redoutant ont une attitude exactement
inverse à celle du rapport à l’image qui est en train de nous « désubstantifier » :
pour elles, les fantomes ne sont à prendre au sérieux qu’en tant
qu’épiphénomènes qui aident à traquer le réel. »

Nous affirmons que les partisan.ne.s de la 4RI sont ces pourfendeur.euse.s d’imaginaire, prêt.e.s à explorer les profondeurs les plus inconscientes de l’esprit humain afin d’y déceler les désirs les plus intimes, et les orienter vers des marchandises matériellement morbides, rendues artificiellement désirables.

Le dessein de la 4RI ne peut donc s’accomplir sans l’existence au préalable de certaines infrastructures indispensables à ce contrôle généralisé des sentiments. C’est l’objet de cette « mystique de l’interconnexion », du déploiement des réseaux de la « connectivité » : la marchandise comme sentiment.
Face à cela, il nous faut produire un discours radicalement opposé à l’expansion de ces nouvelles infrasctructures et technologies de gouvernance, sans tomber dans la technophobie réactionnaire de certaines mouvances de la deep ecology. Il est aussi important de démocratiser les analyses et critiques sur l’utopie cybernétique qui est à l’oeuvre au travers de cette révolution industrielle, sur le contrôle des affects et des comportements induits par l’utilisation massive des nouvelles technologies et sur les profonds changements psychologiques qu’elles induisent. Il en va de proposer des alternatives matérielles pertinentes et d’autres rapports au monde enviables et rejoignables.

Enfin, n’hésitez pas à faire part de vos remarques et critiques en commentaire :)