A quand une analyse critique et sereine sur la recherche autour des virus ?
Ou l’exploitation du complotisme pour stériliser un débat démocratique
Article mis en ligne le 4 novembre 2020
dernière modification le 24 janvier 2021

Réflexion autour de l’article de Yaroslav Pigenet « La question de l’origine du SARS-CoV-2 se pose sérieusement »- CNRS-Le Journal

 Origine de Sras-cov-2

En Novembre 2020, la question de l’origine du Sars-Cov-2 n’est toujours pas déterminée.

D’après l’article de Yaroslav Pigenet (Journal du CNRS_27 Octobre 2020), les 3 pistes encore plausibles sont les suivantes :

  • Premièrement, il s’agit d’une zoonose. La Covid-19 est due au franchissement récent de la barrière d’espèce par le coronavirus. Ce scénario n’est pas encore prouvé.
  • Deuxième scénario, il pourrait également s’agir d’un coronavirus différent de SARS-CoV ou de MERS-CoV, qui se serait adapté à l’humain il y a déjà plusieurs années, qui aurait circulé jusqu’ici à bas bruit, et qu’une mutation récente aurait rendu plus transmissible d’homme à homme.
  • Enfin, il reste la possibilité que SARS-CoV-2 descende d’un virus de chauves-souris isolé par les scientifiques lors des collectes de virus et qui se serait adapté à d’autres espèces au cours d’études sur des modèles animaux en laboratoire ; laboratoire dont il se serait ensuite échappé accidentellement.

Attardons-nous ici sur le dernier scénario, pour lequel il n’y a pas un consensus scientifique. En effet, dès mars 2020, dans cet article de la revue Nature, on exclut l’origine d’un virus en provenance d’un laboratoire « Our analyses clearly show that SARS-CoV-2 is not a laboratory construct or a purposefully manipulated virus ».

Que ce dernier scénario soit avéré ou pas par les enquêtes/reherches à venir, il est évident que la recherche autour des virus implique un risque maximale, qui semble ne pas toujours être pris en compte par le monde scientifique. D’après Yaroslav Pigenet : « On ne peut éliminer cette hypothèse, dans la mesure où le SARS-CoV qui a émergé en 2003 est sorti au moins quatre fois de laboratoires lors d’expérimentations » par chance sans provoquer de pandémie [1]. La possibilité de la sortie du virus Sars-Cov-2 n’est donc pas une élucubration, c’est une possibilité, qui doit être prise en compte dans une analyse de risque sérieuse.

 Pourquoi ce tabou ?

Pourquoi ce tabou dans le monde institutionnel et des médias, autour de la possibilité de sortie d’un laboratoire de Sras-Cov-2 ?
La technoscience est le moteur économique de nos sociétés. Le travail des sociétés en biotechnologie s’inscrit dans ce monde de technoscience :

  • pour répondre aux attentes en matières de confort et sécurité sanitaire, attentes intériorisées par nos sociétés occidentales.
  • pour produire de l’argent : les médicaments largement connus, brevetés depuis longtemps, ne rapportent plus rien. Beaucoup d’investissements sont donc faits dans les biotechnologies, car nous sommes dans un domaine de très haute valeur ajoutée (Vaccin : 1 milliards d’€/kg, Antibiotique : 10€/kg).
  • pour produire les nouveaux médicaments qui permettront de guérir les maladies favorisées par les sociétés modernes, comme les zoonoses.

 Laboratoires et sécurité

D’après Yaroslav Pigenet « Les normes internationales imposent que la recherche, l’isolement et la culture de virus à potentiel pandémique, incluant les virus respiratoires, soient réalisés dans des conditions expérimentales sécurisées, avec une traçabilité irréprochable pour éviter toute transmission zoonotique. Toutefois, des accidents peuvent toujours se produire et il est important de se questionner sur la dangerosité potentielle des expérimentations notamment quand elles visent un gain de fonction ou d’infectiosité. » La recherche autour des vaccins viraux conduit à la pratique de gain de fonction qui consiste à augmenter l’infectiosité pour l’Homme du virus dans les étapes de la recherche.
Ces pratiques à haut risque ne semblent pas suffisamment encadrées et cela à haut niveau internationale. On peut difficilement laisser les chercheurs gérer seuls cette sécurité, car la compétition dans le monde la recherche réduit la vigilance. Cet article de Médiapart décrit comment la coopération qui s’est faite entre la France et Wuhan pour la création d’un laboratoire P4 était jugée à haut risque par des responsables administratifs de la défense et de la santé.

 Stérilisation du débat

Pourquoi laisse-t-on les thèses complotistes stériliser le débat sur le sujet ?
Comme dans d’autres domaines, médiatiser la sphère complotiste évite de se pencher sur les vrais problèmes. La thèse de la sortie accidentelle du virus des laboratoires se trouve aujourd’hui médiatiquement absorbée par les thèses évoquant une diffusion volontaire du virus. Il n’est plus possible d’aborder le sujet, ce qui arrange évidemment le monde de la technoscience, de manière consciente ou inconsciente d’ailleurs le résultat est le même. Le sujet n’est plus abordé dans les médias mainstream, alors qu’il circule à grand bruit dans les réseaux sociaux, sans que ces 2 mondes ne se rencontrent.

 Risque techno-industriel

Cette critique du risque pris par nos sociétés techno-industrielles, a déjà largement été développée au cours du XXème siècle, avec les grands accidents industriels et nucléaires. Paul Virilio parle du risque d’accident intégral. Pourtant, malgré ce niveau de connaissance et d’expériences tragique (accident de Tchernobyl : La supplication, Svetlana Alexievitch) cela n’empêche pas nos sociétés de continuer, dans le déni du méga accident.
Dans le cas de cette pandémie, le simple fait que l’hypothèse de la sortie du virus d’un laboratoire soit possible, devrait nous alerter sur la nature et le rapport bénéfice/risque de ces travaux de recherche

 Récapitulons

Nous traversons en 2020 une pandémie sans précédent, qui suscite un gigantisme de réactions à l’échelle internationale : confinement, dégradation de toutes les activités sociales humaines (éducation, culture, démocratie), dégradation de toutes les activités économiques.
Le constat est que les sociétés humaines sont en danger aujourd’hui, sans qu’un débat serein puisse être ouvert sur l’une des origines possibles de ce désastre.

Un autre article sur ce même sujet de Pièces et main d’œuvre pour le développement d’un esprit critique sur la science.