Le monde.
Que la conférence de Copenhague se conclue par un « échec » ou par un « succès » est une question assez secondaire. Car ce moment dramatique n’est pas un achèvement, mais le point d’émergence des forces puissantes qui se meuvent sous la surface de l’actualité, des battements longs de l’aventure humaine.
De quoi s’agit-il, en réalité ? De la mise en scène de la contradiction qui s’est forgée au long de la révolution industrielle entre une logique économique et la contrainte écologique. Le développement des forces productives a conduit à un niveau jamais atteint de la richesse matérielle collective et de la productivité du travail, mais au prix d’une destruction massive de l’environnement naturel. D’abord insensible, elle commence maintenant à perturber le fonctionnement de la biosphère, menaçant de rompre l’équilibre toujours fragile des tensions qui caractérise les sociétés humaines.
Quel est maintenant l’enjeu pour la civilisation devenue planétaire ? De laisser se creuser cette contradiction, au risque du chaos. Ou de faire décroître et transformer les forces productives - devenues, en réalité, destructrices - pour rétablir un équilibre pérenne entre l’activité humaine et la biosphère.
D’exprimer, en fait, un nouveau développement : qui ne serait plus matériel, mais mental, cognitif, relationnel. Ou, s’il est possible d’employer un mot provocant : un développement spirituel.
Comment se définit le paysage du premier plan, par rapport à cet horizon ? La contradiction s’exprime par le fait que la paix sociale dépend d’une surproduction qui aggrave la crise écologique. Comme l’a révélé un rapport publié le 28 novembre par la Chambre économique européenne de Chine (« Overcapacity in China »), l’empire du Milieu est en état de surproduction massive, exagérée par une relance, début 2009, qui a encore augmenté les capacités manufacturières.
La Chine ne peut maintenir son précaire équilibre social qu’au prix d’une croissance frénétique. Mais celle-ci dépend de la capacité de consommation des pays occidentaux, qui a atteint ses limites en raison de l’endettement de ceux-ci.
L’endettement, d’ailleurs, n’est que l’autre nom de la surconsommation. Aucun dirigeant, cependant, d’un côté ou de l’autre, n’ose remettre en cause la surproduction ou la surconsommation : cela impliquerait un bouleversement de l’ordre social, caractérisé des deux côtés par une très grande inégalité.
Or réduire les émissions de gaz à effet de serre ne peut se faire, à court terme, qu’en réduisant la production matérielle, pour privilégier des activités beaucoup moins polluantes.
Voilà l’essence de la contradiction que Copenhague illustre. Il faut la dénouer autrement que par l’explosion sociale généralisée, ou par la guerre.
Mais elle ne se résoudra pas sans la réduction des inégalités, clé d’une politique économique moins destructrice.
Courriel : kempf@lemonde.fr Hervé Kempf