On peut comprendre que les crises sanitaires récentes liées aux intoxications par des souches particulièrement virulentes de la bactrérie E. coli, et que la mise en cause du bio à leur propos, jettent un doute sur la sécurité sanitaire des produits bio. Un doute cependant totalement injustifié.
Pour les concombres, on sait qu’il s’agissait tout simplement d’une erreur de l’administration allemande. Certains en ont malgré tout profité pour incriminer le bio. Pour les graines germées, la ferme allemande soupçonnée au départ a été totalement mise hors de cause comme source de contamination. Selon le communiqué de l’ Autorité européenne de sécurité alimentaire (Efsa), les responsables seraient des graines de fenugrec venues d’Egypte, dont l’origine exacte n’a pas été précisée. Par ailleurs, pour ce qui est des intoxications françaises, le parcours des graines depuis l’Egypte jusqu’au Jardiland de Bègles laisse perplexe : Anvers, Rotterdam, l’Allemagne, l’Angleterre et enfin la France. Pas vraiment un circuit court ! Autre évidence, rarement soulignée : le problème, ce n’est pas le bio, ce sont les graines germées.
Avec le bifteck haché, on sait en effet que ces dernières figurent parmi les principaux aliments à risque en matière de contaminations microbiennes, et que les intoxications par les graines germées sont relativement fréquentes dans le monde. Pendant la germination, les graines se trouvent en effet plusieurs jours dans une atmosphère chaude et humide, conditions idéales pour une multiplication rapide des bactéries. Ce qui, pensons-nous, ne justifie pas pour autant le conseil donné par les autorités françaises de ne pas consommer de graines germées, qui sont d’excellentes sources de vitamines. Il suffit en effet d’observer des règles d’hygiène strictes, ce que font les entreprises françaises qui en commercialisent puisqu’en France – contrairement aux Etats-Unis – on n’avait jusqu’à maintenant jamais observé d’intoxications graves par ces aliments.
Une autre question mériterait qu’on s’y penche attentivement : alors qu’ « E. coli » est une bactérie omniprésente dans notre environnement et presque toujours inoffensive, comment apparues les souches virulentes telles que O104 H4, à l’origine des intoxications par les graines germées ou O157 H7, à l’origine des intoxications par le steak haché ? Ces souches ne seraient-elles pas apparues à la suite de l’utilisation d’antibiotiques en médecine vétérinaire associée à la consommation d’herbage ou d’aliments traités aux pesticides dans les élevages industriels ? Van Huber de l’Université de Purdue aux Etats Unis a suggéré récemment des possibles modifications de la flore intestinale des animaux ayant ingéré des plantes se développant dans des champs traités aux herbicides (glyphosate de Monsanto). Le déclin des abeilles n’est-il pas en partie imputé à la conjonction de l’association de certains pesticides à des parasites intestinaux ?
Pour en revenir au bio, rappelons qu’en 2003 l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a conclu que les risques microbiologiques ne sont pas plus élevés en bio qu’en conventionnel et n’a pas changé d’avis depuis. Reste la question plus générale – objet de controverses sans fin – de savoir si, oui ou non, les produits bio sont meilleurs pour la santé que les autres. Sur le plan nutritionnel le rapport de l’Afssa de 2003 sur les produits biologiques avait conclu à une légère supériorité de ces derniers en matière de teneur en plusieurs nutriments (notamment vitamine C, fer, magnésium) pour certains aliments, tout en estimant que ces différences avaient un impact négligeable sur l’état de santé de la population. Toutefois, depuis cette date, de nombreuses études ont mis en évidence une nette supériorité des produits bio selon au moins deux critères : la teneur des fruits et des légumes en polyphénols et autres antioxydants, et la teneur du lait en acides gras oméga 3 ( + 68 % d’oméga 3 dans les produits bio par rapport aux conventionnels selon la moyenne des 11 études comparatives publiées depuis 2003).
Mais où la supériorité des produits bio sur les conventionnels est incontestablement la plus flagrante, c’est en matière de résidus de pesticides. Selon l’EAT (Etude alimentation totale) que vient de publier l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), un aliment sur deux contient au moins un résidu de pesticides. En bio moins d’un aliment sur dix en contient, en provenance dans la plupart des cas d’une contamination par des voisins ou par l’environnement.
Certains objectent que les niveaux de résidus trouvés dans les aliments sont trop faibles pour avoir un impact négatif sur notre santé. Un argument contredit par la très abondante littérature publiée sur ce sujet. Une méta-analyse publiée au Canada a conclut que sur 207 publications scientifiques mettant en regard l’exposition aux pesticides et diverses pathologies (cancer, neurotoxicité, problèmes de reproduction, génotoxicité, problèmes dermatologiques) 173 concluaient à une corrélation positive entre l’exposition et l’incidence de ces maladies. Il s’agissait souvent, mais pas toujours, d’expositions professionnelles, ce qui ne change rien aux conclusions qu’il faut en tirer. En effet, même si les résidus de pesticides présents dans les aliments n’avaient pas d’impact grave sur la santé du consommateur, ce qui est hautement improbable au vu des données de la littérature scientifique, avons-nous moralement le droit de consommer des aliments dont nous savons que leur production peut rendre les agriculteurs malades ?
Par ailleurs, plusieurs publications scientifiques récentes (les dernières en avril 2011 dans la revue américaine de référence Environmental Health Perspectives) ont mis en évidence l’impact des insecticides organophosphorés, très utilisés en France et dans le monde, sur le système nerveux : diminution du quotient intellectuel, hyperactivité, réflexes anormaux, etc. Des effets qui apparaissent même à très faibles doses, notamment après l’exposition de la mère pendant la grossesse ou des enfants en bas âge. Les autorités sanitaires commencent enfin à prendre en considération l’ effet « cocktail » de cette association non maîtrisée de substances chimiques dénoncée par différents lanceurs d’alertes.
A une époque où 45 % de la population présentent des troubles ou maladies chroniques en partie liées à l’exposition à des agents chimiques présents dans l’environnement, nous pensons donc que réduire fortement notre exposition aux pesticides – manger bio étant aujourd’hui le seul moyen d’y parvenir – est à terme un enjeu très important de santé publique et de bien être.
Claude Aubert est le cofondateur de Terre vivante et l’auteur du livre L’art de cuisiner sain (Terre vivante).
Laurent Chevallier est le président de la commission alimentation du Réseau environnement santé. Il est l’auteur de Je maigris sain, je mange bien ; le régime du chasseur cueilleur du XXIe siècle (Fayard, 2011).