article du monde en 2 parties
Vous ne croyiez quand même pas publier deux cent cinquante pages d’écriture technocratique en pensant que personne ne réagirait ! C’était impossible, tellement, après lecture, garder le silence serait coupable.
Certes, à défaut de vous auréoler par la qualité de son style, votre plume a l’habileté de noyer l’information, donc d’être protectrice. Il faut donc extraire le message de la gangue des interminables considérations générales, passer sur les cent premières pages couvrant cinq millénaires de l’histoire de Paris, pour enfin arriver au premier élément très instructif : votre lettre de mission présidentielle du 7 Mai 2008.
Ainsi dit-elle : « Vous avez la mission de définir une vision pour la région capitale à l’horizon 2030, et d’imaginer les modes d’organisation qui permettront à tous les acteurs de faire de cette vision une réalité … La vision doit précéder le projet … Vous devez restaurer une ambition d’urbanisme cohérente à l’échelle de l’agglomération … La consultation internationale pour l’avenir du Paris métropolitain de dix cabinets architecturaux, urbanistiques et paysagers … livrera ses conclusions en janvier 2009, conclusions sur lesquelles vous pourrez asseoir votre projet … Cela exige la participation active au dynamisme économique des habitants des zones en difficulté … Il faut assurer le développement de ces zones. Cette ambition doit s’appuyer sur l’architecture comme support de l’attractivité de la région capitale et fondation d’une identité culturelle et urbaine … Commencer par la fondation d’un cluster technologique et scientifique de rang mondial autour du plateau de Saclay, le développement de la Plaine de France au nord-est de Paris, la programmation des infrastructures de transport … Cette vision et ce projet se traduisent naturellement par l’invention d’un nouveau mode de gouvernance et de financement. »
Mais enfin Monsieur Blanc, l’avez-vous bien lue, cette lettre ? Et croyez-vous que personne n’établira le rapport entre les exigences qu’elle contient et les réponses que vous apportez ? Où est votre vision ? Vous commencez votre explication par un lapsus révélateur : « La vision que nous voulions proposer pour le Grand Paris ». « Voulions » au lieu de voulons, c’est ce que l’on appelle mettre les points sur les i.
Comment expliquer ensuite le chapelet de platitudes et de truismes qui caractérisent votre vision ? « Le Grand Paris, capitale internationale, est une ville d’échanges ouverte sur le monde … Ville d’échanges aussi par le dialogue des métiers, des personnes, des cultures, des générations … Le Grand Paris, ville du savoir et de la création … Et, cocorico : Le Grand Paris, capitale mondiale de l’art de vivre. »
Votre vision architecturale et urbanistique, privilégie l’idée de « ville compacte », formulation ambiguë et inquiétante car la métropole est tout sauf compacte. Il s’agirait plutôt de parler de l’évolution subtile de certains quartiers… Ainsi vous citez le président de la République lors de l’ouverture de l’exposition à Chaillot des projets des dix équipes d’architectes : « Il faut libérer l’offre, déréglementer, augmenter le coefficient d’occupation des sols, rétablir la continuité du construit dans les zones denses, permettre aux propriétaires d’agrandir leurs maisons
individuelles. L’obstacle n’est pas la rareté du foncier mais la façon dont on le gère. »
VOUS CROYEZ-VOUS CRÉDIBLE ?
Mais enfin Monsieur Blanc, suivez l’exemple présidentiel ! Faites des propositions claires, identifiables, neuves et transversales. Applicables simultanément à de très nombreux territoires. Ouvrez la porte à de vraies discussions avec les élus locaux. Suggérez, vous aussi, une reforme du droit de l’urbanisme !
Votre vision c’est aussi « l’équilibre entre complexité et harmonie qui nécessitera tout le talent de nos architectes et urbanistes ». Monsieur Blanc, permettez-nous de sourire… Comment atteindrez-vous cette trop noble ambition alors que vous avez prouvé pendant deux ans votre refus de communiquer avec ceux avec qui vous auriez dû travailler ? Autre vision : « La ville sera polycentrique et multipolaire » écrivez-vous en citant le nom de quatre équipes qui proposent différents nombres de centres. Oui ? Et alors ? N’est-ce pas un peu court ? « L’Atelier international du Grand Paris … intégrera des architectes urbanistes de la consultation du Grand Paris … Ils travailleront dans la durée à des stratégies d’avenir pour la métropole. » Mais enfin Monsieur Blanc, vous avez déjà refusé de travailler avec eux ! Et cela alors que votre lettre de mission vous suggérait d’asseoir votre projet sur leurs propositions. Et vous osez les enrôler une fois votre projet formulé ! Vous croyez-vous crédible ?
Votre vision serait encore de « construire la ville sur la ville ». Ainsi vous citez Bernard Huet et sa condamnation des rénovations qui commencent par effacer… Mais, une page plus loin, vous parlez de « réaménager », de « reconstruire » et de « faire évoluer », mais aussi (chassez le naturel, il revient au galop) vous écrivez : « raser même s’il le faut ! ». Mais enfin Monsieur Blanc, nous vous le disons depuis deux ans : on ne rase plus ! On ne joue plus les Haussmann dans les zones pavillonnaires, comme vous le revendiquez pour Clichy Montfermeil ! On ne fait pas aujourd’hui le Grand Paris en virant les gens de chez eux. Ce sont des méthodes d’un autre âge…
En fait, vous essayez en trois ou quatre pages de formuler quelques principes urbanistiques et architecturaux, vous voulez nous faire croire que vous êtes un humaniste, vous nous parlez de « donner de l’âme à la Métropole »… Et vous proposez un métro automatique essentiellement souterrain comme le moyen de transport de notre futur métropolitain. Et je n’ai pas l’impression en vous lisant que la contradiction vous effleure… Vous osez même écrire : « imaginer la ville c’est aussi imaginer des mobilités qui sont plus que des déplacements ». Mais enfin Monsieur Blanc, la contradiction ne vous effleure toujours pas ? Après cela vous vous exclamez : « gardez-vous des génies abstraits qui peuvent produire des urbanismes totalitaires ! ». Vous citez le directeur de la Nasa : « Failure is not an option ». Et cela pour justifier un univers souterrain, insensible aux expropriations et aux découvertes archéologiques… Mais si votre Métromatic, au contraire du métro de Bienvenüe qui a la gentillesse de s’arrêter toutes les minutes, se révélait vraiment impopulaire, parce que claustrophobique, psychologiquement insécure, avec des parcours dépassant 3 à 4 minutes entre deux stations. L’échec (« failure ») ne deviendrait-il pas réalité ?
Voyez-vous Monsieur Blanc, vos formulations au milieu de lieux communs sont brutales et quelquefois imprudentes et incohérentes. Prenons par exemple votre « vision en rhizome ». Vous nous dites que « l’approche par le rhizome permet … de mettre en évidence des liens qui unissent les différentes parties du territoire ». Si je me souviens de mes anciennes lectures, ce qui intéressait Deleuze et Guattari dans ce concept, était surtout le mécanisme de résistance à une autorité centrale dans un modèle non hiérarchisé, dans lequel il n’y a pas de ligne de force ; un principe de connaissances non dirigées, simultanées et interactives. C’est aussi le développement d’une capillarité imprévisible, partant aussi bien des tiges souterraines que des bourgeons… La métropole est aujourd’hui bien chaotique. Etes-vous bien sûr, Monsieur Blanc, qu’une complémentarité par l’imprévisible, est de nature dans ces conditions à mettre en évidence des liens territoriaux ?