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Biohacking, à l’école des apprentis sorciers
Article mis en ligne le 20 mai 2010

La nouvelle ère biotechnologique qui s’ouvre sera-t-elle dominée par de gigantesques corporations sans âme, motivées uniquement par l’appât du gain, et dont Monsanto apparait dans l’esprit du public comme l’archétype ? Ou au contraire, la biologie va-t-elle connaitre l’équivalent de la révolution micro-informatique, et tombera-t-elle entre les mains du grand public, pour le meilleur et, peut-être aussi pour le pire ? En tout cas, dès aujourd’hui, à l’ombre des grosses sociétés pharmaceutiques ou agroalimentaires, un nouvel “underground” s’active : biopunk, biologie de garage , DIYbio (DIY pour do it yourself, c’est-à-dire “faites le vous-même”), biohacking, peu importe le nom qu’on lui donne, tout un courant de docteurs Frankenstein en herbe s’active pour battre les grands laboratoires à leur propre jeu à l’aide d’outils à peine plus complexes que des ustensiles de cuisine.

Demain nous créerons des jeux vivants

Certes la technologie n’est pas encore là. Mais elle arrive, pensent ses aficionados, et il serait temps de s’y préparer. Selon eux, les prix vont tellement baisser que bientôt un amateur pourra s’offrir tous les outils nécessaires au séquençage et à la synthèse de l’ADN comme le rappelle Rob Carlson. Rappelons ce qui s’est déjà passé avec la génomique : le séquençage d’un génome complet coutait quelques centaines de millions d’euros il y a à peine deux ans. Il ne vaut plus que 3 700 euros aujourd’hui, tandis que d’autres compagnies envisagent de le faire tomber à 60 euros. Des “biopunks”, justement, souhaitent arriver à produire le génome à 0 $, séquencé par tout un chacun avec le matériel du bord !

Pour le célèbre astrophysicien Freeman Dyson, la création d’organismes vivants inédits pourrait bien devenir le loisir des enfants de demain, expliquait-il dans la livraison de juillet 2007 de la New York Review of Books. “Concevoir des génomes deviendra une activité personnelle, une nouvelle forme d’art comme la peinture ou la sculpture. (…) L’étape finale dans la domestication de la biotechnologie sera la création de jeux biotechs, conçus comme des jeux vidéos pour les enfants à partir de la maternelle, mais joués avec de vrais oeufs et de vraies graines au lieu d’images sur un écran. Le gagnant sera le gamin qui créera les graines engendrant le cactus le plus épineux, ou celui dont l’oeuf donnera naissance au dinosaure le plus mignon.”

Mais les biopunks ne se contentent pas de spéculer sur un avenir, même proche, où la biotechnologie deviendrait accessible à tous. Il veulent mettre les mains dans le cambouis dès aujourd’hui. Ils s’échangent déjà les trucs leur permettant d’aller le plus loin possible dans la manipulation du vivant. Les nouveaux biologistes commencent à explorer les moyens d’effectuer les opérations de base sur l’ADN à l’aide d’un matériel à bas prix.

L’une des pages présentant ces techniques s’est appelée “projet McGyver” et c’est bien sous les auspices de ce héros télévisé des années 80, adepte bricolo de solutions de dernier recours, que se situe le travail des biohackers.

“Aussi incroyable que cela paraisse”, affirme Attila Chordash, l’un de ces hackers nouveau style, “les bases de la biologie moléculaire, ce qu’est l’ADN, comment l’information y est codée, comment elle passe par l’ARN, comment les triplets de bases produisent des aminoacides, qui sont les briques des protéines qui constituent votre corps, tout cela peut être appris en deux heures. Après il suffit de deux semaines de travail intensif dans un laboratoire officiel avec un instructeur et vous pouvez travailler avec ces éléments.”

Bricolage génétique

Première étape, la plus facile, extraire l’ADN. De l’eau, de l’alcool et du savon devrait suffire à l’opération, quoique une version plus sophistiquée conseille aussi, surprise, l’usage de jus d’ananas ! Vient ensuite l’amplification, ou PCR. Son but est de multiplier une chaine d’ADN spécifique après extraction, afin de mieux pouvoir la manipuler. Cela demande des produits chimiques comme l’ADN polymérase ou les “amorces”, des composants spécifiques qu’on peut toujours commander en laboratoire, mais également l’usage d’un “four” particulier, capable de faire varier la chaleur de manière précise pendant différentes périodes de temps. Un tel objet coute quelques milliers d’euros, mais les bricoleurs peuvent trouver le moyen d’en fabriquer un avec un micro-contrôleur d’environ 165 euros.

La troisième étape est l’électrophorèse. Elle permet de trier les brins d’ADN qu’on possède dans un tube à essai en fonction de leur taille. L’électrophorèse sert notamment à établir des empreintes génétiques. Là aussi, du matériel est nécessaire, mais la revue Make nous explique comment le réaliser avec tournevis, morceaux de carton et matériel électrique de base. Ce magazine, bible du “faites-le vous-mêmes” en tout genre, est d’ailleurs souvent cité comme une ressource indispensable aux biologistes amateurs, surtout le numéro spécial consacré à la “biologie d’arrière-cour” (malheureusement indisponible en ligne). Il faut dire que les magazines de bricolage avec des signatures aussi prestigieuses que celles de Bruce Sterling, Cory Doctorow, ou George Dyson (fils de Freeman et frère d’Esther) sont plutôt rares !

Si ces notions d’extraction, d’électrophorèse ou d’amplification vous semblent par trop abstraites, vous pourrez vous rendre sur ce site et effectuer vous même ces opérations dans les “labos virtuels” qui y sont mis à votre disposition.

Biologie pour hackers.

S’il existe un quartier général pour ces biokackers, il se situe sans aucun doute au MIT, là où a été lancé le projet OpenWetWare. L’open WetWare fait référence au matériel informatique (hardware) et logiciel (software), mais en utilisant du matériel “humide” (wet) c’est-à-dire vivant.

L’idée de base d’OpenWetWare est bien plus typique d’un état d’esprit “hacker” que de celui d’un biologiste. Elle est de pratiquer une ingénierie inversée du vivant, en essayant de créer des briques, des portions d’ADN qui possèdent des fonctions précises, et dont les entrées-sorties sont parfaitement connues. Ce n’est pas le cas des génomes produits par la nature : ils sont souvent extraordinairement compliqués. C’est très dur de démêler qu’est-ce qui fait quoi dans un code génétique “naturel” : il est difficile de comprendre quels sont les effets de telle ou telle combinaison de gènes. Comme le dit Drew Endy, le créateur d’OpenWetWare : “Les ingénieurs détestent la complexité. Je déteste les propriétés émergentes. J’aime la simplicité. Je ne veux pas que l’avion que je vais prendre demain manifestent des propriétés émergentes pendant son vol”. Avec les “biobricks”, au contraire, on peut manipuler l’ADN de manière relativement simple, comme le ferait un ingénieur. En fait, il s’agit de pouvoir créer du vivant comme si on assemblait un circuit imprimé. L’autre point important des biobricks d’OpenWetWare est, comme le nom du projet l’indique, le caractère open source de ces constructions. N’importe qui peut avoir accès à ces Legos.

Les biobricks se prêtent facilement à la création de concours ou de jeux. Le plus connu d’entre eux est l’IGEM, qui met en concurrence diverses équipes du monde entier qui doivent rivaliser d’imagination dans leurs créations. En 2007, c’est d’ailleurs une équipe française qui a gagné le premier prix dans la catégorie “recherche fondamentale”, pour la création d’un organisme multicellulaire bactérien.

le projet gagnant au concours i09 Il y a quelques mois, la revue de science-fiction et de futurisme io9 a lancé un concours demandant aux participants d’élaborer une nouvelle créature vivante. Deux prix étaient disponibles. L’un couronnait la meilleure oeuvre d’imagination dans ce domaine, et appartenait donc au domaine classique de la science-fiction. Mais la seconde demandait de soumettre le meilleur projet conçu avec des biobricks. Le gagnant, Vijaykumar S. Meli, a conçu et modélisé une bactérie qui pourrait faciliter la culture du riz.

Ce travail, qui existe pour l’instant à l’état de pur modèle théorique, pourrait être réalisé dès aujourd’hui dans un laboratoire. C’est un des points forts des biobricks : elles permettent de “penser” de nouvelles créatures sur le papier (ou sur l’écran) de manière purement intellectuelle, sans même nécessiter le moindre tube à essai !

comment faire briller des bactéries Bien entendu, les biobricks sont des entités totalement abstraites, qui n’existent que sur le papier sur l’écran d’un ordinateur. On rêverait d’une espèce de compilateur, qui prendrait les spécifications élaborées avec les biobricks et construirait, pas à pas, l’organisme demandé dans le monde réel ! Une espèce d’imprimante 3D biologique, en somme. On en est pas là, mais il existe déjà des efforts pour faire passer ces biobricks du virtuel au réel. C’est le propos d’une des premières startups du domaine, Ginkgo Bioworks qui a enthousiasmé récemment le magazine économique Forbes. Fondée par des participants à OpenWetWare, Thomas Knight, l’inventeur des biobricks, Reshma Shetty et Barry Canton, le but de cette compagnie est précisément de commercialiser ces morceaux d’ADN que sont les “biobricks”, sous la forme de capsules collées à des feuilles de papier. Il suffit de placer cet ADN dans une solution contenant des bactéries pour rendre celles-ci fluorescentes, ou leur donner une odeur de banane…

La compagnie espère toutefois vendre plutôt ces briques aux grosses compagnies de biotech, plutôt qu’à leurs camarades hackers. Elle n’en est pas moins un pur produit de cette nouvelle génération de biologistes, inspirés par l’histoire de la Silicon Valley : “Deux gars peuvent s’assoir dans un café et décider de monter une entreprise Web. Nous voulons montrer que cela peut aussi arriver avec la biotech”, affirme Jason Kelly, “coloc” de Barry Canton, qui avait tenté de construire avec lui un labo à très bas prix.

“Pas un loisir comme les autres”…

Naturellement une telle diffusion des techniques de manipulation du vivant ne va pas sans susciter des questions éthiques. On a assez de problèmes avec les OGM, que faire si la prochaine épidémie est déclenchée par le voisin du dessous ? Évidemment, cela ressort pour l’instant à la science-fiction, mais, alors que les biogaragistes se mettent déjà aux travaux pratiques, les aficionados de la sécurité préfèrent, eux aussi, ne pas attendre le futur pour agir. En effet, faire de la science chez soi risque d’attirer les foudres des services de police.

Ainsi, cet été, un paisible chimiste retraité, Victor Deeb, a-t-il vu sa maison fouillée par la police et son matériel confisqué par les autorités, alors qu’il voulait simplement effectuer quelques expériences en amateur. La police a reconnu que les produits confisqués n’étaient pas plus dangereux que ce qu’on trouve habituellement dans une remise de jardinage ou une cuisine, mais, comme l’a expliqué un agent de la force publique : “Je pense que Mr Deed a franchi une ligne quelque part. Ceci n’est pas ce que nous considérons comme une occupation de loisirs habituelle”.

Il faudra donc peut être un peu de temps pour offrir à votre enfant un kit de manipulation génétique en toute légalité. Dans l’attente, il vous reste l’eau, le savon et… le jus d’ananas !

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