Les labels bio se multiplient, parfois de façon peu lisible pour le grand public : selon un récent sondage, 65% des Français estiment qu’il en existe trop. Pourquoi ne pas adopter la démarche inverse, en stigmatisant et en pénalisant financièrement les producteurs les plus pollueurs ?
L’idée
Le 1er juillet, l’éco-label européen deviendra obligatoire pour les
aliments bio préemballés, tandis que la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) vient elle de présenter Bio Cohérence, son nouveau label. Conséquence : il devient de plus en plus difficile de s’y retrouver entre les certifications existantes.
D’où uen idée simple : plutôt que de forcer les producteurs bio à payer une certification et à faire la preuve de leur mode de culture respectueuse de l’environnement, il suffirait d’estampiller les pollueurs. Un macaron « non naturel » pourrait être appliqué à ceux qui utilisent des pesticides.
« Dire aux consommateurs que certains produits sont mauvais »
Robert Eden, viticulteur dans le Languedoc, prêche, depuis quelques mois, pour la fin des labels bio :
« Ça peut paraître infaisable aujourd’hui. Mais qui aurait cru, il y a dix ans, qu’on marquerait “Fumer tue” sur les paquets de cigarettes ? Qui pensait qu’on pourrait mettre une étiquette “énergie CO2” sur les appareils électroménagers ?
Il est temps de dire au consommateur que certains produits sont mauvais pour sa santé et son environnement. Libre à lui de l’acheter ensuite. »
Cet Anglais, lui-même labellisé AB par Ecocert et Demeter pour ses pratiques bio-dynamiques, ajoute :
« Les démarches de certifications ont été salutaires et nécessaires pour inciter les conversions, mais il faut passer à l’étape suivante. La bio doit maintenant devenir la norme. »
Car aujourd’hui, plus d’une dizaine de labels aident les consommateurs à repérer les aliments bio. Entre estampilles officielles bien connues (label AB) et marques privées plus strictes (Nature et progrès), les consommateurs tendent à se décourager et peuvent avoir l’impression de payer plus cher pour une certification souvent floue.
Comment la mettre en pratique
L’idée n’a encore jamais été testée. Pourtant, les organismes certificateurs (Ecocert, Agrocert, Certipaq, Qualité France, etc.) en auraient les moyens techniques. Il suffirait que l’Etat rende obligatoire le contrôle de chaque producteur. Un logo significatif serait apposé à ceux qui ne respectent pas l’environnement.
Et Robert Eden de remarquer :
« Nous serions surpris de constater que beaucoup d’agriculteurs ne polluent presque pas. Savez-vous que certains vignerons cultivent selon les principes de l’agriculture biologique sans se faire labelliser compte tenu des contraintes excessives ? Ce n’est pas normal ! »
Mais comment financer un tel revirement, à l’échelle nationale ? Qui voudrait payer pour se faire dire que son produit n’est pas bon ? La transition semble complexe.
Un système de certification injuste pour les producteurs bio
Aujourd’hui, le coût de la certification biologique peut être élevé. Il varie en fonction de la taille de l’exploitation, du nombre de produits à certifier et de l’organisme de certification choisi. Pour une exploitation moyenne en mono-culture type viticulture, il en coute au producteur entre 350 et 400 euros par an.
Guy Kastler, chargé de mission chez Nature et progrès, association à l’origine du premier cahier des charges de l’agriculture biologique en 1972, explique :
« Il est anormal que les producteurs bio soient obligés de payer pour prouver qu’ils ne polluent pas, alors que les agriculteurs conventionnels n’ont rien à déclarer.
De plus, le système de certification actuel est injuste pour les petits exploitants. Il ne prend pas en compte le chiffre d’affaires. Son coût est donc souvent difficile à assumer. »
« Etrangler encore un peu plus les petits exploitants »
En y appliquant le fameux système du pollueur-payeur, le contrôle systématique des exploitations, à condition qu’il soit rendu obligatoire par les pouvoirs publics, pourrait vite devenir rentable. Et incitatif, bien entendu…
Dominique Técher, viticulteur représentant du réseau Fnab et président de Bio Cohérence, précise :
« Malheureusement, ce processus reviendrait à étrangler encore un peu plus les petits exploitants, à qui on a dit, durant la révolution verte des années 60, d’utiliser des produits chimiques pour booster leur rendement. »
Déjà punis par des sols infertiles et par la logique de marché qui réduit leurs marges, il peut paraître injuste de leur faire payer une décision prise il y a quarante ans. « Ne tirons pas sur l’ambulance », demande Dominique Técher.
Selon Dominique Técher, un plan national de conversion à l’agriculture biologique serait déjà une nouvelle étape à envisager. L’inversion des labels pourrait être décidée ensuite.
Robert Eden défend sa position : « Tant pis pour ceux qui produisent mal, mais moi, j’ai des enfants. »
Ce que je peux faire
Faut-il aller jusqu’à boycotter les labels ? Non : l’étape de transition qu’évoque Robert Eden n’est peut-être pas terminée. C’est encore aux consommateurs de pousser les industriels à faire évoluer leurs pratiques.
Photo : un cageot de légumes bios (Scoobymoo/Flickr)
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Ailleurs sur le Web
*- Le site de la Fédération nationale d’agriculture biologique
*- Le site du label Bio Cohérence
*- Le site de Robert Eden
*- Le site de Nature et progrès
*- « Le guide des labels de la consommation responsable », sur le site Mes courses pour la planète