Vous aussi, organisez votre débat pipeau !
Article mis en ligne le 27 décembre 2009

Étonnant comment ça rappelle les « concertations » sur le circuit F1...

Décideurs : industriels, élus, technocrates,... Vous cherchez à faire accepter à la population des décisions déjà prises ? Vous aimez faire croire aux gens qu’ils participent aux prises de décision ? Vous êtes confrontés à une opposition de plus en plus gênante ?


La Commission Nationale du Débat Pipeau vous livre
le secret de l’organisation de Débats Pipeaux en 10 leçons.

 1- Organisez le débat public une fois que les décisions sont prises.

Gardez en tête que l’objectif du débat est de faire accepter ces décisions à la population, et surtout pas de la faire participer aux prises de décisions. Faites comme le gouvernement, qui 3 ans aprés l’inauguration de Minatec, n’organise ces débats que parce qu’il craint un « syndrome OGM » (un refus de l’opinion publique) avec les nanos. Rappelez-
vous ce principe des experts en acceptabilité
de France Telecom : « faire participer, c’est faire accepter »

 2- Présentez-vous comme une commision indépendante.

Peu importe que le débat soit commandité par 7 ministères, que tous les membres de la commission
soient nommés par l’Etat parmi des parlementaires,
des élus locaux, et des responsables des hautes juridictions. Peu importe que vous soyez financés par l’Etat, par le biais du ministère
de l’écologie par exemple, et logés à Grenoble par le ministère des finances. Peu importe que le président de la commission soit un ingénieur, ancien directeur général d’EDF, et pro-nucléaire,
bref, un technarque. Peu importent tous ces détails. L’important est de clamer votre indépendance
sur tous les toits. Pour être crédibles, vous pouvez même vous montrer vexés lorsqu’on remet
en cause cette indépendance, et écrire une lettre aux opposants pour vous plaindre de leurs allégations. [1]

 3- N’organisez pas le débat vous-même.

Vous n’avez pas les compétences nécessaires en marketing, communication et « stratégie d’opinion
 ». Faites plutôt appel à des professionnels comme l’agence I&E consultants, embauchée pour organiser les débats sur les nanos. C’est encore mieux si, comme I&E, l’agence que vous recrutez s’est illustrée à l’automne 2008, en répondant
à un appel d’offre du gouvernement visant
à repérer les leaders d’opinion dans l’éducation
nationale et à anticiper les risques de contestation (le Canard Enchainé 30/09/09). Cela montre le peu de scrupule qu’elle a dans la manipulation de l’opinion.

 4- Ne laissez pas de place à l’inconnu, à ce qui fait la vraie discussion, le vrai débat.

Comme la CNDP, préparez la liste des questions que les gens risquent de vous poser, et entrainez-
vous à y répondre de manière naturelle. Au bas de cette liste de question, inscrivez les sujets
sensibles à ne pas évoquer pendant le débat. Comme le conseille la CNDP : attention tout de même à « ne pas donner l’impression de circonscrire
arbitrairement le débat ». [2]

 5- Souvenez-vous toujours que le débat n’aura aucune conséquence.

Ainsi, lors des débats, vous pouvez, et devez encourager l’expression de toutes les opinions. L’important est de pouvoir dire ensuite que tout le monde a pu s’exprimer, surtout les opposants. S’ils décident de boycotter votre débat, suppliez-les de venir au nom de la démocratie.

 6- Invitez de faux opposants, pour faire croire à un vrai débat.

Prenez exemple sur la CNDP. Des Verts à la Fédération
France Nature Environnement, elle invite
tous ceux qui sous couvert d’écologie, préfèrent
gérer les nuisances industrielles que les supprimer. A Grenoble, elle invite par exemple l’Association Démocratie, Ecologie et Solidarité,
association qui a soutenu ouvertement la construction de Minatec (Le Rouge et le Vert N°84 fév/mars 2002). Le rôle de ces faux opposants
sera de quémander les mesures dérisoires que vous aviez de toutes façon prévues de leur accorder. Par exemple, l’étiquetage des produits contenant des nanoparticules. Pour que votre débat pipeau paraisse encore plus vrai et plus citoyen,
vous pouvez aussi inviter des membres de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) Depuis sa création, cet autre organisme « indépendant » ne fait qu’avaliser les mesures
sécuritaires et liberticides que l’Etat met en place, mais les rend plus acceptables en donnant l’illusion d’un contrôle démocratique.

 7- Restez entre amis.

Surtout, ne faites pas trop d’information autour du débat. Ni tracts, ni affiches. Il serait dommage
que trop de simples citoyens viennent perturber
un débat entre experts. Si vous craignez une présence trop forte d’opposants, faites comme la CNDP qui a envoyé des mails à tous les membres du personnels de la fac de science de Grenoble et du CNRS, pour les inviter à venir bourrer la salle du débat. Il n’est point de faux débat sans faux public !

  8- Découpez votre débat en tranches.

Prenez exemple sur la CNDP : pour chaque ville, un sujet de débat précis. Développement durables
et enjeux éthiques à Grenoble, nano-armes
à Marseille, nano-textiles à Lille, pneus (!) à Clermont Ferrand... Ainsi, lorsque les opposants
tentent d’apporter une critique sociale et politique, donc une critique globale des nanos, ils se placent immédiatement en dehors du débat.
C’est formidable : le débat est réduit à un débat technique, dont sont exclus les non-spécialistes.

 9- Minimisez et discréditez l’opposition.

A l’instar de la CNDP, qui évoque très peu les perturbations des débats de Strasbourg, Toulouse,
Clermont Ferrand, et l’annulation du débat
de Lille par les opposants, faites comme si les débats se déroulaient pour le mieux.

A cet effet,
la presse peut vous être d’un grand secours. L’AFP est par exemple capable de relater le débat de Clermont Ferrand, saboté pendant 2 heures 30 par les opposants sans en dire un seul mot. Localement, Grenews, ou le Daubé savent transformer
l’invasion de Minatec par des opposants le 20 novembre, en simple manifestation de 20 personnes devant Minatec. Enfin, pour discréditer
les opposants, vous pourrez compter sur les technarques locaux, comme Geneviève Fioraso, qui ne manque pas de fustiger leur « totalitarisme
 » (Grenews 25 novembre 09, page 3)

 10- Enfin, retranchez-vous dans un bunker.

Devant les risques de contestation, n’hésitez pas à faire appel aux forces de l’ordre, renseignements
généraux, brigade anti-criminalité, et à des vigiles privés. Faites les installer à l’extérieur
comme à l’intérieur de la salle. A l’entrée, instaurez un dispositif de sécurité renforcé, avec triple contrôle de vigiles, et fouille. Faites signer aux gens un engagement à ne pas perturber le débat. Evidemment, n’oubliez pas de dire que ces décisions ne sont pas de votre responsabilité,
mais de celle de la préfecture.

Voilà, vous savez tout sur la manière dont on organise un faux débat à la Commission Nationale du Débat Pipeau.
Vous n’avez plus qu’à espérer que cela suffira à endormir la population
et à faire taire toute contestation.
Ce qui malheureusement est loin d’être gagné, à Grenoble ou ailleurs...