Résumé
La difficulté d’introduire l’hydrogène et les piles à combustible dans le marché découle du fait que ces
technologies ne constituent pas une innovation évolutive, comme les biocarburants ou les voitures
hybrides, mais plutôt une rupture technologique. La domination actuelle des technologies liées au
pétrole crée un contexte socio‐économique favorisant les acteurs impliqués dans le paradigme actuel,
et donne moins de possibilités aux carburants alternatifs de se développer et de contester le statu
quo. L’environnement institutionnel tend à reproduire les incitations économiques donnant lieu à un
cycle vicieux, lequel rend la sortie du verrouillage au carbone difficile. Si cette hypothèse est correcte,
les entreprises intéressées par l’économie de l’hydrogène peuvent se voir bloquées en l’absence d’un
contexte stable ou en raison d’intérêts contradictoires. En passant en revue les actions et les annonces
des principaux acteurs intéressés par l’hydrogène‐énergie, nous cherchons les vrais verrous
technologiques au carbone empêchant les entreprises de démarrer la transition. L’infrastructure, plus
que la pile à combustible, semble être un facteur majeur de blocage au changement.
1. Introduction
Les émissions de CO2 doivent être réduites dans tous les secteurs de 50 %‐85 % en 2050 par rapport
aux niveaux de 2000, de manière à stabiliser l’augmentation des températures à 2‐2,4°C au‐dessus
de la moyenne préindustrielle et éviter ainsi la catastrophe climatique (GIEC, 2007). Dans le secteur
des transports, le taux croissant de motorisation dans le monde oblige à une réduction plus sévère
de l’ordre de 80‐90 % avant 2050 (AIE, 2009). Certains spécialistes croient que la réduction de 50 %
des émissions est possible par l’amélioration de l’efficacité des voitures actuelles, notamment par la
voie de l’hybridation des moteurs (AIE, 2009 ; Schäfer et al., 2006). Mais cela risque d’être trop court
face à l’ampleur du problème, des réductions plus profondes rendent nécessaire la mise en place
d’innovations radicales comme l’électricité ou l’hydrogène.
Le coût de la voiture à pile à combustible dépend en grande partie de la pile à combustible et du
stockage à bord de l’hydrogène. Le coût de la pile à combustible est descendu à $60/kW et se
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rapproche du coût du moteur à combustion ($30/kW).1 Mais ces estimations supposent une
production cumulée de 500 000 unités, sinon le coût actuel est de $3 000 par kW. En outre, le coût
du stockage gazeux d’hydrogène à 700 bar (10 000 psi) permettant de garder l’énergie suffisante
pour une autonomie de 500 km, de manière non encombrante, a été estimé entre $250‐350/kWh,
encore très éloigné de l’objectif de $2/kWh du département américain de l’énergie (DOE) pour
2015.2
Les plus sceptiques considèrent que l’hydrogène a fait l’objet d’un phénomène médiatique (‘hype’)
qui est en train de s’essouffler par la frustration des attentes créées autour de son utilisation (Romm,
2004 ; Bakker, 2009). A l’aide de modèles analytiques, d’autres considèrent que le blocage à la
diffusion de l’hydrogène n’est justifié que pour des situations très particulières d’absence
d’infrastructures (Greaker et Heggedal, 2007) ou de difficultés des constructeurs à financer les pertes
avec les premières voitures (Conrad, 2004), mais il n’y a pas encore eu d’études empiriques avançant
de telles hypothèses. En outre, les décisions au niveau des firmes sont contraintes par leur contexte
externe, ce qui peut être en contradiction avec leurs plans d’investissement. Cet article réfléchit à
l’existence d’un blocage institutionnel en faveur des technologies fossiles, qui retarde les
investissements dans des technologies de rupture comme l’hydrogène. Premièrement, nous
analysons attentivement les raisons institutionnelles d’une telle résistance. Deuxièmement, nous
passons en revue les stratégies des acteurs (entreprises d’énergie, compagnies pétrolières et
constructeurs automobiles) vis‐à‐vis de la transition vers l’hydrogène. Enfin, l’étude conclut par
l’analyse critique des éventuelles situations de lock‐in qui empêchent les acteurs d’investir dans la
nouvelle filière hydrogène‐énergie.