Bio", mais pas local. C’est un paradoxe, et surtout une réalité dans les rayons français. Alors que la production en mode biologique prône le respect de l’environnement, l’essor rapide de la consommation de ce type de produit a pour effet un recours massif aux importations, et donc au transport sur longue distance de marchandises. La preuve que la sortie de la confidentialité de ce marché de niche est difficile, voire mal maîtrisée.
En 2008, le marché a affiché une croissance de 25 %, à 2,6 milliards d’euros. Entre 2000 et 2007, la hausse était déjà de 10 % par an. Revers de la médaille, en 2008, tous produits confondus, les importations se sont élevées à 30 %, contre moins de 20 % en 2005, selon l’Agence Bio, organisme public chargé de la promotion du secteur. La France manque de lait bio, de céréales, surtout de fruits et légumes.
Le problème est simple. D’un côté, l’offre ne peut que progresser lentement car il faut deux ans pour convertir un élevage laitier au bio, trois pour une exploitation céréalière, le temps que les produits chimiques utilisés jusque-là ne laissent plus de traces dans le sol. De l’autre, la demande s’est beaucoup accrue dernièrement, dopée, selon les observateurs, par deux événements qui ont fait prendre conscience des risques d’une consommation non durable : le Pacte écologique de Nicolas Hulot, puis le Grenelle de l’environnement.
Du coup, industriels de l’agroalimentaire et marques de distributeurs, qui avaient investi plus récemment le secteur, ont augmenté leur offre. Sans pour autant trouver de matière première sur le marché français. « Ceux qui sont impliqués depuis longtemps dans la filière ont moins de difficultés car ils ont passé des contrats avec les agriculteurs », explique Cécile Frissur, déléguée générale du Synabio, le syndicat des transformateurs de produits alimentaires bio, qui compte plus de 5 600 entreprises. Un chiffre en hausse de 12 % en 2008. Elle juge que les nouveaux venus, comme l’ont fait les anciens, devraient adapter leurs objectifs de croissance dans le bio au rythme d’évolution de l’offre de matières premières. En bref, être patients, et moins gourmands.
Même des « historiques » doivent importer. « La situation est loin d’être idéale, nous sommes en tension permanente. Nous voudrions trouver près de chez nous, sinon cela n’a pas de sens », reconnaît Christophe Barnouin, directeur général de Distriborg (marques Bjorg et Bonneterre).
Chez Biolait aussi, l’approvisionnement est une question-clé. Ce groupement de près de 500 producteurs est l’acteur incontournable de la collecte de lait biologique en France. En 2009, il a dû en importer du Royaume-Uni pour livrer ses clients. « Nous pouvons fournir 40 millions de litres, mais la demande frôle les 50 millions », explique Loïc Dété, le directeur général. Vu que des éleveurs plus nombreux, en cours de conversion, pourront à l’avenir fournir l’entreprise, dans deux ans, la production aura augmenté de 50 %. Les importations ne seront alors plus de mise.
Pour les céréales aussi, c’est un passage obligé. Les principaux moulins bio ont pris l’habitude d’importer du blé d’Italie. Selon les prévisions du ministère de l’agriculture, la collecte de blé biologique sera en hausse de 19 % en 2009, mais le recours aux importations restera nécessaire.
A l’Agence Bio, l’optimisme règne pourtant, car l’on juge l’inadéquation entre offre et demande « conjoncturelle ». « Vue la dynamique des conversions, la situation n’a pas vocation à perdurer », assure la présidente, Elisabeth Mercier, mettant en avant les efforts financiers du ministère pour aider au développement de la filière. Il prévoit un passage de 2 % à 6 % des surfaces d’ici à 2012. Un taux que certains jugent inatteignable.
Pour s’assurer que la hausse de la production aura bien lieu, et le plus rapidement possible, les fabricants tentent eux-mêmes de convaincre les agriculteurs d’opter pour le bio. Ils ajoutent ainsi au prix du lait une prime de 30 euros pour 1 000 litres durant le temps de conversion des élevages. Pendant cette période, l’éleveur produit selon les principes du bio, mais est payé le prix du lait conventionnel, tout en produisant moins. Il se dit que pour s’attacher de nombreux producteurs, certaines entreprises offriraient une prime plus conséquente que les autres.
Autre moyen d’agir, le conseil technique. C’est ce que propose Danone à ses éleveurs, autour de son usine du Molay-Littry (Calvados) d’où sortent ses produits Les 2 Vaches, sa marque bio. S’assurer leur collaboration est le meilleur moyen d’acheter local, et de sécuriser la croissance de ses approvisionnements, alors que le groupe lance en octobre une gamme de produits pour enfants sous la même marque. Il se fournit par ailleurs auprès de Biolait, exclusivement en lait français.
Terrena, principale coopérative agroalimentaire française, finance aussi les services de conseillers techniques. Le groupe ne veut plus se faire piéger. En 2008, ses déboires ont fait grand bruit. Pour produire ses volailles bio, il doit importer du soja, bio lui aussi, dont la France manque. Son fournisseur habituel, un brésilien, ne pouvant ponctuellement le livrer, il s’était approvisionné en Chine. Et dans le soja, de la mélamine a été retrouvée...
Tout cela va-t-il trop vite ? Bien trop, estiment certains. « Le Grenelle de l’environnement a eu pour effet pervers un emballement. La demande a explosé, notamment pour les cantines. Résultat : c’est l’échec assuré », s’énerve Etienne Gagneron, producteur et responsable de la commission bio de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Les importations à bas coûts font leur place, selon lui, et il sera impossible après coup pour les productions françaises de récupérer ces débouchés.
Une autre question se pose. La crise ne va-t-elle pas remettre en cause l’essor actuel ? En Allemagne et au Royaume-Uni, déjà, les chiffres s’affichent en baisse. Les Français restent sereins, car ici le marché est n’est pas encore mature.
Laetitia Clavreul