La casse du fret ferroviaire au profit du tout camion
Article mis en ligne le 11 février 2019
dernière modification le 26 septembre 2019

Un très bon article sur la casse du fret ferroviaire par Jean Gadrey-blog-alternatives économiques. Un film avec une liberté de parole et une conscience inenvisageable dans une structure privée. Organiser des projections publiques serait bienvenue.

La casse du fret ferroviaire au profit du tout camion depuis 2000 : un « crime » écologique et social perpétré dans le silence des grands médias

Visionnez (ou allez voir si des projections/débats sont organisées près de chez vous) le dernier documentaire de Gilles Balbastre, « Transport de marchandises : changeons d’ère ! », réalisé à la demande du comité d’entreprise de la SNCF-fret. Une heure d’un ciné vérité épatant, avec des « acteurs » de terrain qui ont des choses concrètes et précises à dire. Pas seulement pour dénoncer une casse dont je n’imaginais pas la brutalité en 15 ans, mais aussi pour expliquer comment on pourrait y mettre fin et faire du service public du fret ferroviaire un outil majeur au service de la transition écologique. A l’opposé des choix qui ont été faits et qu’on peut qualifier « d’écocides » ou de « climaticides », en complément des dommages sociaux qu’ils ont provoqués.

Voici le lien pour visionner ce film à ne pas rater. Vous pouvez aussi, si vous êtes militant associatif, organiser des projections/débats soit avec le réalisateur soit avec certains des syndicalistes présents dans le film ou avec d’autres syndicalistes de la SNCF-fret.

Voici quelques-uns des cas décortiqués de façon vivante sur le terrain : au triage de Somain dans le Nord, on triait en 2000 autour de 1000 wagons par jour. Aujourd’hui une quarantaine. Au triage d’Hourcade, près de Bordeaux, 1500 wagons par jour jusqu’au milieu des années 2000, aujourd’hui une centaine. Au triage de Miramas, près de Fos sur mer, plus de 2000 par jour il y a quinze ans, aujourd’hui 500. Et ainsi de suite.

Bien que je fasse une grande confiance au réalisateur et aux personnes interviewées dans ce film, j’ai quand même été à la pêche de certains chiffres officiels, ministériels, et publics. Pas facile de croire par exemple, comme cela est affirmé dans le film, que « 87% des marchandises passent désormais par la route, à peine 10% par le rail. La part du rail a été divisée par trois en une trentaine d’années seulement. »

Pourtant c’est parfaitement exact, et cela a nettement empiré depuis 2000, en relation notamment avec la dérégulation européenne, entrée en vigueur en 2003 mais anticipée par les « opérateurs » bien plus tôt. En voici deux ou trois illustrations graphiques. J’ai composé le premier graphique sur la base des chiffres les plus récents du Ministère de l’environnement (également en prise sur les transports). Il s’agit ici d’un des nombreux indicateurs du fret, celui du nombre de trainsxkms.

Le second graphique est directement copié du dernier « mémento statistique des transports » (2016). C’est un indice en base 100 en 1995 du nombre de tonnes x kms des transports intérieurs. La part du ferroviaire est bien tombée à moins de 10 % en 2014. En 1985, il y a trente ans, une autre source du même Ministère (fichier excel « synthèse tous modes ») fournit en effet 29 %, et 18 % en 1999.

J’ai « piqué » le troisième et dernier graphique dans le film lui-même, en capture d’écran. il se passe de commentaires :

Cette politique de destruction délibérée a avancé masquée derrière des déclarations de dirigeants de la SNCF annonçant pour le fret un avenir radieux, « pour le climat » notamment. Pendant ce temps, la même SNCF poussait très fortement sa propre filiale de transports routiers, Géodis, principale concurrente du fret ferroviaire…

J’ai aussi consulté les données d’Eurostat (chiffres de tonnes-kms intérieures pour chaque pays) pour voir si c’était partout la même casse du fret, le même « écocide ». Il est vrai que la politique forcenée de libéralisation, qui permet aux grands transporteurs routiers d’avoir des prix compétitifs parce qu’ils ne paient ni l’entretien des routes, ni leurs émissions de carbone, ni le coût énorme des encombrements routiers, des pollutions et des accidents provoqués, a eu tendance a exercer des effets semblables dans plusieurs pays, dont ceux de l’Europe de l’Est.

Mais ce n’est nullement une fatalité. AINSI, EN ALLEMAGNE, LA PART DU FRET FERROVIAIRE EST PASSEE, ENTRE 2002 ET 2012, DE 18,8 % A 23,1 % UNE NETTE PROGRESSION. EN SUEDE, ON CROIT REVER, ON EST PASSE DE 34,4 % A 39,7 %, EN AUTRICHE DE 29,3 % A 40,8 %.

Non, la casse du fret ferroviaire au bénéfice du tout camion n’est pas fatale.

Terminons par des bilans des émissions par tonne x km transportée, selon cette source.

Le rapport entre le bilan carbone complet (cycles de vie des moyens de transport compris) du transport d’une tonne sur un kilomètre, d’un côté du train, de l’autre des poids lourds, varie de 1 à 3,5 dans le cas le plus favorable aux camions, à un rapport de 1 à 20 dans le cas le plus défavorable. Le fret ferroviaire est donc incroyablement moins nocif pour le climat, même lorsqu’il ne fonctionne pas à l’électricité nucléaire, en attendant qu’il fonctionne aux énergies renouvelables, mais c’est une autre question.

AJOUT DU 6 DÉCEMBRE

J’ai reçu un sympathique message de David ALVES DA SILVA, du cabinet Emergence, me signalant que « ce documentaire a été produit par le CE Fret SNCF et Emergences en même temps qu’un rapport (et sa synthèse), qui constitue en quelque sorte l’argumentaire politique écrit d’une démarche visant à sensibiliser le grand public à ce sujet. Le rapport a été corédigé par les élus du CE Fret SNCF et Emergences. Il présente donc l’intérêt de présenter leur analyse de la situation présente, ainsi que leurs propositions pour sortir de l’impasse actuelle. »

Ce rapport (accessible via ce lien) est, comme le documentaire, tout à fait remarquable et on y trouve tellement de choses complétant le présent billet que j’en ferai un autre billet dans les jours qui viennent.

Jean Gadrey