Un nouveau biocarburant alimente les débats
Article mis en ligne le 10 février 2010
dernière modification le 4 octobre 2014

L’autorisation d’implanter une raffinerie de biocarburant en Suisse a, une nouvelle fois, mis en avant la question (controversée) du développement de cultures spécifiques pour le carburant.

La société Green Bio Fuel a reçu l’aval des autorités du canton d’Argovie pour implanter une raffinerie qui pourrait produire assez de biocarburant pour permettre à la Suisse de réduire de 10% les émissions de dioxyde de carbone par rapport aux niveaux de 1990.

Ces installations auront une capacité de production de 130 millions de litres de biocarburant par année, ce qui représente cinq pour cent des besoins de la Suisse en carburant. Selon l’Office fédéral de l’énergie, ce serait suffisant pour que la Suisse tienne ses promesses de Kyoto sur les émissions de CO2.

Green Bio Fuel explique que le carburant sera uniquement produit à partir de l’huile extraite des graines de jatropha importées du Mozambique. Selon le porte-parole de la société, Ulrich Frei, Green Bio Fuel a découvert un gros potentiel dans cette plante tropicale très résistante, déjà récoltée massivement au Brésil, en Inde et aux Philippines afin de produire du biocarburant.

« Un marché mondial devrait se développer, prétend Ulrich Frei. Le critère social et écologique fera office de référence, afin notamment de s’assurer que les cultures de jatropha n’entrent pas en concurrence avec les cultures alimentaires et qu’on n’enlève pas des terres aux indigènes pour cultiver du jatropha. »

Toutefois, Ulrich Frei admet que le permis de construire n’est qu’une étape sur le long chemin qui mène à une production rentable de biocarburants.

Taxes sur les carburants
La société compte sur une exemption de la taxe fédérale de 72 centimes par litre sur le biocarburant produit. Cette taxe représente actuellement environ la moitié du prix du litre d’essence à la pompe.
Selon Ulrich Frei, sans cette exemption, le biocarburant ne peut pas être concurrentiel. La société Green Bio Fuel n’a toutefois reçu aucune promesse de la part de l’Etat.

L’Administration fédérale des douanes attend que les installations, prévues sur les rives du Rhin, soient opérationnelles avant de se prononcer sur une éventuelle exemption de taxes. La décision sera prise suite à un audit de différents organes fédéraux, qui auront enquêté afin de savoir si le jatropha cultivé au Mozambique pour la production du biocarburant suit les normes sociales et écologiques.

« C’est un obstacle conséquent », explique Bruno Guggisberg, expert en biocarburant à l’Office fédéral de l’énergie.

Actuellement, les autorités fédérales ont autorisé 48 équipements pilotes pour des sociétés produisant du biocarburant, soit biodiesel ou biogaz. Le second étant cependant considéré comme le plus propre, car la matière première est bio comme le fumier et les eaux usées.

Faible demande
En 2008, le biocarburant avait été exempté de taxes pour aller dans le sens des standards écologiques et sociaux. Mais depuis, le marché à chuté. On estime que seuls trois millions de litres de biodiesel ont été vendus en Suisse l’année dernière, soit un quart des ventes de 2008.

L’Office fédéral de l’énergie explique que les chiffres reflètent une consommation de la part des Suisses liée principalement au prix plutôt qu’à l’aspect écologique. En 2009 le prix du pétrole a baissé à un certain moment, pour atteindre la moitié du prix record du baril de 2008 à 147 dollars. « Le prix global de la production, incluant la matière première et le pétrole est décisif », explique Bruno Guggisberg.

S’ajoute à cela une initiative de Rudolf Rechtsteiner, expert en énergie qui a déposé un moratoire de cinq ans sur les biocarburants. Il a ainsi mis les bâtons dans les roues encore mal huilées des travaux entrepris dans ce domaine.

Rudolf Rechsteiner est soutenu par une coalition d’organisations non-gouvernementales qui contredisent les affirmations de Green Bio Fuels qui prétend que la culture du jatropha pour la fabrication du biocarburant ne causera aucun dommage écologique ou social.

Selon Swissaid, « l’idée de faire des bénéfices sur la vente d’huile de palme ou de jatropha va attirer sur le terrain une cohorte d’investisseurs, faisant fuir les pauvres paysans de leurs terres ».

Pour autant que le biocarburant ait un avenir en Suisse, le biogaz semble avoir le plus gros potentiel. Bruno Guggisberg explique que la production domestique d’énergie à partir de la biomasse pourrait couvrir environ 10% des besoins en énergie de la Suisse, a condition que tous les déchets de l’industrie alimentaire et agricole, ainsi que les déchets industriels soient convertis en combustible.

Dale Bechtel, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais : Philippe Varrin)