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Ne pas désespérer Flins
Article mis en ligne le 22 janvier 2010
dernière modification le 4 octobre 2014

L’usine la plus ancienne de Renault depuis la fermeture de Billancourt, sur la sellette depuis vingt-cinq ans, s’est retrouvée au coeur du débat sur les délocalisations avec l’éventuel départ de la Clio pour la Turquie. Elle sera bientôt la vitrine d’une nouvelle mutation dans le secteur automobile avec le lancement de la Zoé électrique. Un pari aussi prometteur que risqué.

INGRID FRANCOIS, Les Echos
DE NOTRE ENVOYEE SPECIALE À FLINS.

Quand je suis rentré à l’usine dans les années 1980, on me disait déjà qu’elle était sur le point de fermer. » Cette phrase, à Flins, vous l’entendrez souvent. Vingt-cinq ans que le site de Renault - le plus ancien depuis la fermeture de Billancourt -se bat pour prouver sa compétitivité, face au mouvement d’automatisation d’abord, puis face à la montée en puissance de l’automobile japonaise, et maintenant, face à la concurrence de la main-d’oeuvre des pays émergents. L’usine, d’où sont sorties les voitures les plus populaires chez les Français, a de nouveau montré sa fragilité la semaine dernière. Il a suffi que la presse évoque l’hypothèse d’une délocalisation de la remplaçante de la Clio à Bursa en Turquie pour que la polémique éclate.

Pour un modèle qui a longtemps été la voiture la plus vendue dans l’Hexagone, pour un industriel dont la survie tient à un prêt de 3 milliards de l’Etat, le symbole est fort. Et le gouvernement n’a pas tardé à s’en emparer pour se poser en avocat des emplois industriels en France. La tempête médiatique, orchestrée par le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a culminé le samedi soir, avec la convocation de Carlos Ghosn à l’Elysée. Après un échange avec Nicolas Sarkozy, le patron du constructeur s’est engagé à maintenir la production de la Clio à Flins tant que la voiture électrique, qui devrait sortir des lignes à partir de fin 2011, ne suffira pas à faire tourner l’usine. Le lendemain, à Flins, c’est un sentiment de soulagement, mêlé de suspicion, qui domine. Sur ce site en contrebas de l’autoroute A13, entre la Seine et la voie ferrée, le secrétaire de la section CFE-CGC, René Canteloup, fait remarquer qu’ « il n’y a pas d’engagement en termes de volume de production ou de délai ». Gilles Maestro, de la CFDT, a quant à lui « du mal à croire que l’Etat puisse peser à ce point dans les décisions ». Certaines inquiétudes sur l’arrêt prévu mi-avril de la Clio Campus, l’ancienne version de la Clio réintroduite pendant la crise, restent en suspens. « On risque de tourner à 40 véhicules par heure sur deux équipes, alors que le seuil critique est de 38 », affirme-t-on à la CFE-CGC. Des critiques, des doutes, mais pas de pulsions révolutionnaires. Aux abords de l’usine, rien ne laisse deviner l’agitation politique de la semaine précédente. Pas de banderoles ni de pneus brûlés. A 13 heures, quand la première tranche horaire de l’usine prend fin, chacun rejoint son véhicule pour rentrer chez soi, comme d’habitude.

« L’époque héroïque » est finie
Elle est loin, l’époque de « Flins la Rouge ». Celle où l’usine, chaudron des luttes sociales, avait été un foyer de la contestation de Mai 68. Celle des revendications des OS qui voulaient une carrière ouvrière. Celle des immigrés qui s’interrogeaient sur leur sort, logés dans les grands ensembles des Mureaux ou de Mantes-la-Jolie, et des grèves qui duraient jusqu’à plusieurs semaines. Aujourd’hui, ce n’est plus la CGT mais Force ouvrière qui est majoritaire. Jugé complaisant par les autres formations, le syndicat se justifie : « Nous signons des accords, ce que la CGT ne faisait pas. Si nous n’acceptons pas la discussion, si nous faisons la grève comme par le passé, c’est simple : Flins disparaît », explique Eric Contoux, secrétaire adjoint du CE. Cette menace de fermeture, les ouvriers de l’usine la sentent planer depuis les années 1980. Le basculement a eu lieu quand Renault comme Peugeot ont frôlé la faillite, lorsque les Japonais faisaient trembler les constructeurs occidentaux avec leurs méthodes de production en rupture avec le fordisme. Fini « l’époque héroïque », comme la surnomme René Canteloup, où l’usine produisait 5 modèles. Fini les embauches massives qui avaient porté les effectifs du site à plus de 21.000 personnes. C’est la période où entrent en scène ceux que l’historien Jean-Louis Loubet appelle les « gestionnaires », à savoir Georges Besse, puis Raymond Lévy, par opposition aux « techniciens ».

Au fur et à mesure que les plans de départs volontaires se succèdent, la masse salariale diminue de façon drastique, passant en dessous des 10.000 personnes vers 1990 et à près de 3.400 fin 2009. L’ancienneté moyenne étant de vingt ans, la majorité des employés ont vu Flins se réduire comme peau de chagrin. La production, pourtant, n’a pas suivi la même évolution. Depuis quarante ans, elle oscille entre 150.000 et 420.000 unités, avec une sérieuse tendance à la baisse ces dix dernières années. En 2000, l’usine yvelinoise a assemblé autant de véhicules que dans les années 1970, avec trois fois moins d’employés.

Pour en venir là, il a fallu faire des efforts de productivité : automatisation des chaînes, adoption des démarches du juste à temps, un plan nommé « Qualité totale ». Le site a vécu le déploiement d’« unités élémentaires de travail » (UET). Inspirées de l’expérience japonaise, elles visaient à impliquer davantage les ouvriers dans la production. « Les coûts sont devenus une obsession. Renault s’est lancé dans une chasse aux temps morts. Il fallait, par exemple, réduire au maximum le nombre de pas pour aller chercher des pièces détachées, se souvient Gwenaëlle Rot, sociologue, qui a travaillé à la chaîne à Flins pour rédiger sa thèse en 1998, certains chefs de service avaient pour consigne de ‘‘gagner des gars’’ », en d’autres termes, produire autant avec moins de monde. « L’usine n’avait déjà plus rien de la ruche des années 1970 », explique-t-elle. Les horaires de travail ont été modifiés afin que l’équipe du matin et celle de l’après-midi se succèdent sans qu’il n’y ait de pause commune à midi. « Chacun déjeune chez soi. Du coup, les informations sur les grèves circulent moins facilement », constate Gilles Maestro.

Après le défi de la concurrence japonaise est venue la peur de la délocalisation. Malgré ses efforts de productivité, Flins a continué d’être remise en cause. Sa faiblesse ? Une spécialisation dans les modèles de petite et de moyenne taille, à faible marge, pour lesquels il est devenu presque inévitable de produire dans les pays à bas coûts. Renault n’est pas le seul à le faire : PSA assemble depuis 2006 ses Citroën C1 et sa Peugeot 107 en République tchèque. La C3 Picasso et la Peugeot 207 viennent de Trnava, en Slovaquie. Et toujours le même calcul qui revient, celui que Carlos Ghosn a mis en avant lors des états généraux de l’automobile : pour un véhicule vendu 14.000 euros, il existe un écart de 10 %, soit 1.400 euros, entre une fabrication en Europe de l’Est et en France, dont 400 euros pour la différence de salaires, 250 euros de taxe professionnelle et 750 euros pour les charges sociales. D’où cette question, qui taraude les salariés de Flins : produirons-nous le nouveau modèle de la gamme ou serons-nous le prochain Billancourt ? « On n’a jamais l’assurance d’obtenir la production du prochain véhicule, affirme Frédéric Leleu sous-directeur de l’usine, en charge des projets et des services techniques, c’est une bataille permanente. » Le départ de la Twingo en 2007 pour l’usine de Novo Mesto en Slovénie a laissé un goût amer. Pour la première fois, Flins n’allait plus fonctionner qu’avec une ligne de production, laissant de grands espaces vides dans les ateliers. L’établissement a pourtant bien tiré son épingle du jeu dans la crise, ses Clio ayant bien profité de la prime à la casse. Plus aucune journée n’a été chômée depuis février. Flins a été l’un des rares sites français à travailler le samedi et à faire venir en renfort des salariés de Cléon et Sandouville, deux usines au sort moins enviable.

Bouffée d’oxygène temporaire
Mais il ne s’agit que d’une bouffée d’oxygène temporaire. L’avenir de Flins tient avant tout au succès de la voiture électrique, « terra incognita » pour tous les constructeurs automobiles. Des quatre véhicules prévus dans l’offensive de Renault en ce domaine, Flins récupère celui dont les volumes devraient être les plus importants, la Zoé. Parallèlement, devrait être créée une usine de fabrication de batterie pour tous les modèles, ce qui devrait représenter de 300 à 500 emplois. Des questions restent malgré tout en suspens : les volumes de la Zoé parviendront-ils un jour à compenser le départ de la Clio ? L’usine de batterie sauvera-t-elle des emplois Renault, vu les différences de compétences ? Il est aussi question d’installer un site de déconstruction, destiné à recycler en partie les véhicules mis à la casse. Rien de ferme pour l’instant. Malgré ces réserves, l’arrivée de la Zoé est bienvenue. « Avant, nous parlions de la pérennité du site. Maintenant, c’est le nombre d’emplois que nous défendons », explique Gilles Maestro. Mais les salariés n’en voient pas encore de trace concrète : le chantier ne pourra se dérouler que pendant les périodes d’arrêt du site, pas avant l’été 2010. Pour l’instant, les personnes impliquées dans la construction de la voiture électrique à Flins se comptent en dizaines.

Et si la Zoé échoue ? Dans les rangs syndicaux, on a beau dire que le site est sur la sellette, on imagine mal qu’il puisse vraiment fermer un jour : « ça ne se passera pas tout seul, insiste René Canteloup. Mais il est possible qu’on finisse par tourner à 1.500 employés. »

L’histoire de Flins en images et l’interview de J.-L. Loubet

sur lesechos.fr/diaporamas

L’âge d’or des années 1970
· Le site s’étend sur 237 hectares, sur les communes d’Aubergenville et de Flins (Yvelines), à 45 kilomètres de Paris. · Il compte quatre ateliers (l’emboutissage, la tôlerie, la peinture et le montage), qui occupent 72 % des effectifs, le reste travaillant dans la maintenance, la qualité, la logistique ou d’autres fonctions administratives. · Depuis 2007, Flins ne produit plus que la Clio III et la Clio Campus. Son centre d’emboutissage travaille pour d’autres modèles du groupe. · A partir de fin 2011, l’usine assemblera la Zoé, première voiture électrique de Renault destinée au marché de masse. · La production a atteint son sommet en 1976, à 420.160 unités. En 2009, 140.000 véhicules sont sortis de la chaîne.