Ferrari, Williams, McLaren... derrière ces noms mythiques de la formule 1 se cachent des entreprises qui peuvent se révéler très lucratives, quand tout va bien...
McLaren Group, non coté en Bourse, n’est pas tenu de divulguer ses chiffres. Mais Martin Whitmarsh, PDG de la filiale course automobile de McLaren, indique que « le chiffre d’affaires réalisé en 2008 était de 600 millions de livres (environ 700 millions d’euros) pour le groupe, dont la moitié pour la formule 1 ».
Inventer des bolides toujours plus performants qui iront rugir sur un circuit est une activité économique paradoxale. Un constructeur de formule 1 est spécialisé dans la production de prototypes qui, par définition, n’ont pas vocation à être vendus. Les voitures sont en réalité louées, à la course ou à l’année, à des sponsors, qui paient cher (300 à 400 millions d’euros par an) pour obtenir en retour notoriété et image. Naturellement, ces sponsors sont d’autant plus généreux que les pilotes sont adulés du grand public et bien classés à l’arrivée des courses.
Le succès de la formule 1 repose donc tout entier sur sa capacité à drainer un large public. Chaque Grand Prix mobilise au moins 260 médias et 10 000 journalistes, pour 1 650 heures de couverture télévisée et 120 à 160 millions de téléspectateurs. Chaque Grand Prix, c’est aussi 275 millions de connexions Internet. Autant d’occasions d’entrer en contact avec des marques prestigieuses d’ordinateurs, de téléphones, de mode...
Le marketing est donc l’outil-clé de la réussite financière des constructeurs de formule 1. McLaren chouchoute une quarantaine de sponsors, dont le plus important est Vodafone. Mais Santander, ATT, Hugo Boss, Intel ou Acer contribuent également à faire vivre cette entreprise de 1 200 salariés.
Les sponsors ne se bornent pas à coller leur logo sur une coque en fibre de carbone. Ils sont invités sur les circuits à vibrer au rugissement des bolides, et peuvent convier actionnaires et clients à déguster un verre de champagne dans des loges dédiées. Dans les paddocks VIP des constructeurs, les sponsors des nouvelles technologies peuvent rencontrer les dirigeants des hedge funds, et boire un verre avec leurs banquiers et leurs assureurs. La formule 1 ne sert pas uniquement à renforcer une notoriété auprès du grand public. Elle fait aussi office de cercle pour décideurs économiques internationaux. Un club très huppé : la cuisine servie aux sponsors chez McLaren ne déparerait pas dans un restaurant étoilé au guide Michelin...
Les multinationales rivalisent d’ingéniosité pour associer leur nom à celui d’un constructeur. Début juin, le chimiste néerlandais AkzoNobel était fier d’annoncer qu’il était devenu le fournisseur attitré de peintures de McLaren. Pour les MP4-24 pilotées par Heikki Kovalainen et l’actuel champion Lewis Hamilton, Sikkens, filiale d’AkzoNobel, a développé une peinture qui se dépose comme un film sur la coque du bolide, et dont le rendu chromé brillant est parfaitement adapté à l’oeil d’une caméra de télévision.
Les coûts de développement de cette peinture ne seront sans doute pas facturés à McLaren, mais la commercialisation de ce produit dans le grand public sera facilitée par le fait qu’elle est associée à une des marques les plus renommées du sport automobile. « La formule 1 a un fort impact visuel. Depuis 2006, la finition chrome de nos voitures est devenue notre signature dans la compétition, avec quatorze victoires de Grand Prix », affirmait à cette occasion Ron Dennis, PDG de McLaren.
La montée en puissance des sponsors en formule 1 commence à la fin des années 1960. Jusqu’à cette époque, une voiture de course portait au mieux le petit sticker d’un industriel du pneumatique... En 1968, le fabricant de cigarettes Imperial Tobacco passe un accord d’exclusivité avec Lotus pour sa marque Gold Leaf. S’ouvre alors une période de forte inventivité financière, laquelle ne s’est jamais refermée. En 1972, les Lotus seront noir laqué en hommage au paquet ébène de la John Player Special.
En 1973, Teddy Mayer, patron de McLaren, qui n’a pas les moyens financiers d’attirer le pilote Emerson Fittipaldi, devenu champion du monde l’année précédente, demande à Marlboro d’assumer le salaire du pilote. Ce dernier devient ainsi le salarié du sponsor et non plus du constructeur. Aujourd’hui, des pilotes comme Fernando Alonso ou Lewis Hamilton sont rémunérés pour apparaître dans les spots publicitaires des sponsors, être présents lors de réceptions et donner des conférences aux personnels.
En avril 2009, un nouveau pas a été franchi. Virgin a investi 10 millions d’euros (30 millions en 2010) en sponsoring sur la nouvelle écurie Brawn GP. En échange, Richard Branson, PDG de Virgin, a exigé les droits exclusifs et commerciaux sur tout autre parrainage. En clair, Virgin a loué toute la surface de la voiture Brawn GP, avec possibilité d’en commercialiser lui-même l’espace à d’autres sponsors.
En 2007, le budget sponsoring combiné des onze constructeurs dépassait les 2,5 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros). Il faut sans doute multiplier la somme par deux pour avoir une idée du budget publicitaire global généré par la formule 1.
Cette toute-puissance des sponsors a amené certains d’entre eux à prendre des participations dans les écuries. McLaren est ainsi contrôlé par Ron Dennis (25 %), mais aussi par le groupe TAG, qui a le contrôle de la marque de montres TagHeuer, sponsor de la F1 et des 24 Heures du Mans. Le reste du capital est entre les mains de Daimler et de la Bahrain Mumtalakat Holding Company.
L’intensité de la compétition amène parfois les écuries à franchir la ligne jaune. En 2007, McLaren avait dû payer une amende de 100 millions de dollars et avait été privée de tous ses points au classement mondial des constructeurs pour avoir récupéré des données secrètes appartenant à Ferrari. Le titre mondial, gagné en 2008 par Lewis Hamilton, a ensuite contribué à panser les plaies.
La vraie difficulté du secteur est qu’aujourd’hui il souffre cruellement de la crise. Le 5 décembre, Honda a fait ses adieux au sport le plus onéreux du monde après quarante-quatre ans de présence. Personne ne serait surpris si la Royal Bank of Scotland, désormais détenue majoritairement par l’Etat britannique, cessait de soutenir l’écurie Williams. Il n’est pas exclu que les pilotes doivent en rabattre également sur leurs rémunérations.
Yves Mamou