Europacity, Open Sky,... fonçons vers les « Dead Malls »...
Article mis en ligne le 7 septembre 2017
dernière modification le 19 mai 2020

Un article des échos qui explique comment la France va droit vers les Dead Malls qui se multiplient aux USA. Les projets poussent comme des champignons (dont celui-ci à Buchelay identique à celui de...Plaisir)

Centre commercial Ikea de Caen : de l’impuissance des politiques d’urbanisme

LE CERCLE/POINT DE VUE - Ikea avait vu grand pour son implantation près de Caen : un magasin, mais aussi un centre commercial. Projet polémique, mais la justice a donné raison à la firme suédoise l’année dernière. Un cas d’école.

Depuis le vote de la Loi de Modernisation de l’Economie, les politiques français ne peuvent plus s’opposer à la multiplication des mégas pôles commerciaux.

C’est ce que montre une fois encore la décision de la cour administrative d’appel de Nantes autorisant la construction d’un centre commercial Ikea à Caen contre la volonté de la majorité des élus locaux.
Tout avait bien commencé

L’histoire commence sous les meilleurs auspices en 2008. Cette année-là, Ikea annonce son intention d’ouvrir un magasin sur l’agglomération de Caen.

Pour la capitale de la Basse-Normandie (aujourd’hui intégrée à la grande région Normandie), cette arrivée prochaine est perçue comme un juste rééquilibrage par rapport à Rouen où l’enseigne bleue et jaune vient tout juste d’ouvrir un magasin.

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Comme la plupart de ses collègues et de ses administrés, le député-maire de Caen voit dans l’implantation de l’entreprise suédoise un signe positif, un symbole fort, un « marqueur de modernité ».

À l’exception d’Intermarché qui dépose un recours (dont l’enseigne négociera après coup le retrait), personne ne remarque un détail : pourquoi Ikea a-t-il acheté 49.000 mètres carrés de terrain alors que le permis de construire ne porte que sur 19.500 mètres carrés ?
Concurrence

Ikea pratique en fait à Caen ce que les professionnels du marketing appellent la « stratégie du pied dans la porte ». La méthode, couramment pratiquée par les constructeurs d’hypermarchés et de centres commerciaux, consiste à déposer une demande permis de construire limitée à un magasin et à ses annexes, puis, dans la foulée de l’ouverture, à demander une extension.

Ainsi à Caen, Ikea ouvre son magasin en 2011 et dépose quelques temps plus tard une demande d’exploitation pour une grande galerie commerciale de 30.000 m².

Plus question cette fois-ci de se limiter à l’équipement de la maison : il s’agit désormais d’accoler aux entrepôts d’Ikea un hyper-marché et près de 70 boutiques.

Les maires de l’agglomération dénoncent ce brusque revirement et la menace que le nouveau projet fait peser sur l’avenir des commerces de centre-ville.

Les élus craignent que le centre commercial d’Ikea fonctionne comme une pompe aspirante.

Les clients qui choisiront d’y faire leurs courses ne viendront plus à Caen. Ou en tout cas beaucoup moins.

 Un contre tous

Dans ce contexte pour le moins tendu, un seul élu de l’agglomération défend le projet, le maire de Fleury-sur-Orne. Une position sans surprise.

Comme toujours, l’élu de la commune d’implantation, celle qui profite directement du projet, le défend sans état d’âme, y compris si cela doit impacter négativement toutes les communes alentour.

 Loi de modernisation de l’économie

Mais le projet de méga pôle commercial n’aurait jamais vu le jour si les règles régissant l’urbanisme commercial n’avaient pas radicalement changé.

Voici plusieurs années que la Commission européenne reprochait à la France , au nom de la libre concurrence, de « [se fonder] pour une grande part sur des considérations de nature économique insuffisamment précises et objectives », mises au service non de l’urbanisme, mais d’intérêts locaux.

La France a donc régularisé sa situation en votant la Loi de Modernisation de l’Économie (LME) en 2008.

La LME est tellement favorable aux grandes surfaces que ses détracteurs la surnomment la Loi Michel Édouard Leclerc .

Lorsque Ikea sort de ses cartons son projet de centre commercial après sa première implantation, les élus n’ont plus le droit d’invoquer les conséquences commerciales des nouvelles ouvertures de magasins sur le fragile équilibre des centres-villes.

C’est du reste au nom de cette nouvelle règle du jeu que la commission départementale d’aménagement commercial donne son feu vert au méga centre commercial d’Ikea en février 2012.

 Greenwashing

À défaut de pouvoir refuser au nom du risque de suréquipement commercial, les élus peuvent le rejeter en raison de son impact environnemental.

Dans un contexte où l’État incite les collectivités à favoriser la densification plutôt que l’étalement urbain, ce critère devrait par avance condamner toutes les zones commerciales implantées en plein champ.

 Dans les faits, il n’en est rien.

Un coup de peinture verte, quelques panneaux solaires et le tour de greenwashing est joué : n’importe quel centre commercial peut se voir qualifié d’environnemental.

Dans le cas d’Ikea, une toiture végétalisée et la plantation de 800 arbres auront ainsi suffi à la cour d’appel de Nantes pour donner son blanc-seing.

 Mégas centres commerciaux

De fait, plus le projet est énorme, moins les villes impactées peuvent s’y opposer. Pour une raison simple : l’équipement est considéré d’intérêt régional. Une agglomération de cent mille habitants, en l’occurrence Caen, ne saurait contester un équipement concernant potentiellement un million et demi d’habitants, en l’occurrence la Basse-Normandie.

Cet argument pousse à lui seul les grandes enseignes à concevoir les plus grandes zones commerciales possible qui, faut-il le souligner, ne peuvent s’insérer qu’à la périphérie des villes et non pas dans le tissu urbain existant. Le législateur aurait voulu favoriser l’artificialisation des terres agricoles qu’il ne s’y serait pas pris autrement.

 Manque de cohérence

En autorisant le centre commercial d’Ikea en 2016, la cour d’appel de Nantes donne un signal à l’ensemble des élus locaux français : il leur sera difficile sinon impossible de refuser les mégas pôles commerciaux.

Pourtant, partout en France, ces mêmes élus ne ménagent pas leurs efforts pour rendre l’aménagement de leur territoire plus cohérent et valoriser leurs centres-villes.

Les travaux sur l’élaboration de « schéma de cohérence territoriale », la mise en oeuvre des dispositifs d’aide à la redynamisation commerciale, illustrent leur volonté de tout faire pour redonner aux villes cohérence et attractivité.

Mais à quoi bon dépenser autant d’argent s’ils ne peuvent, par ailleurs, s’opposer à l’implantation des géants de la distribution ?

À l’heure où la France a continué de construire 2 millions de mètres carrés de surfaces commerciales en 2016, le cas du Ikea de Caen montre hélas que les politiques n’ont plus la main...

Franck Gintrand directeur général Global Conseil Corporate