Algues vertes : haro sur le goret
Article mis en ligne le 23 décembre 2009
dernière modification le 4 octobre 2014

Le lynchage médiatique des agriculteurs bretons est malsain.

Mardi 22 Décembre 2009 agriculture algues vertes Bretagne écologie environnement Europe FRANCE lynchage medias PAC préfet Partager sur : Jeudi 9 décembre, « Envoyé spécial » diffusait un reportage sur les algues vertes.

Tout le monde connait vaguement le sujet : l’élevage des porcs entraîne la production de grandes quantités de lisiers dont 80% est épandu dans les champs. Le lisier est chargé en azote et en soufre. L’écoulement dans les rivières et le mélange avec l’oxygène de l’eau provoquent la création de nitrates, favorisant sous certaines conditions de températures, la création d’algues vertes qui s’échouent sur les plages en attendant de pourrir à l’air libre. Cette décomposition provoque des dégagements d’hydrogène sulfuré, un gaz toxique à l’origine de morts suspectes (deux chiens, un cheval, un homme...).

L’affaire est hélas connue. Elle a rebondit par un arrêt récent de la Cour d’appel de Nantes qui a reconnu la défaillance et la responsabilité de l’Etat dans la prolifération des algues vertes, et par les fuites d’un rapport censé être confidentiel, établi par le préfet des Côtes d’Armor, reconnaissant l’impasse dans laquelle il se trouve, face à trop de contraintes contradictoires, entre environnement et compétitivité. Mais le reportage, à charge contre les agriculteurs aveugles et le préfet impuissant, laisse une impression de malaise.

Il y a chez tout Français un mélange de Marie Antoinette et de Fouquet Tinville, l’accusateur public des tribunaux révolutionnaires. La première voulait que ses moutons gambadent au milieu des fleurs et le second n’hésitait pas à envoyer à l’échafaud tous ceux qu’il soupçonnait de trahison. C’est cette même ambivalence qui agit aujourd’hui. Ainsi, la première demande du cochon bio, nourri en plein air et au bon grain. Le second crie « Haro sur le goret », sans voir qui le mène, prévient le docteur Guilllotin qu’il va avoir du travail. C’est sur la place de Grève, près de l’Hôtel de ville à Paris qu’avaient lieu les exécutions capitales. C’est sur la plage de Grèves (Saint Michel en Grèves exactement) que se poursuivent les exécutions médiatiques. Tout est bon dans le cochon, même la tête des éleveurs, abattus en prime time sur les écrans de la télévision publique.

Il y a dans ce lynchage médiatique quelque chose de malsain. Certes, l’affaire des algues vertes est un désastre. Un désastre écologique et environnemental. Un gâchis économique pour 60 communes, qui doivent faire face à 60.000 tonnes d’algues toxiques par an ramassées pour 600.000 €, des pertes de recettes touristiques, une perte de valeur des biens etc. Et un désastre politique pour l’ensemble du monde agricole : en une génération le paysan nourricier est devenu l’agriculteur pollueur. L’élevage breton, parce qu’il affecte une région au cœur du cœur des Français, est hélas un symbole de cette dérive. A l’heure des médias, que pèsent 10 ou 100 millions d’investissement en traitement des lisiers face à de tels dégâts. Il faut un reportage à une heure de grande écoute pour casser une profession. Il faudra plusieurs années pour reconstruire une image. Les dégâts politiques des algues vertes sont hélas irrémédiables.

Pourtant, comment ne pas s’offusquer devant ce lynchage médiatique avec d’un côté les méchants - on les connaît- et de l’autre, les représentants des associations de la nature, chevaliers blancs des algues vertes mesurant les émanations qui se dégagent des tas déposés au bout des champs et prétendant que leurs enfants prennent des risques quand ils viennent jouer par ici (sur les tas de fumiers en décomposition ?). Peut-on progresser ainsi ? Chacun enveloppé dans sa certitude. La caricature ne mène à rien. On ne sortira pas de ce lisier en accusant les uns et les autres. Les agriculteurs sont confrontés à des concurrences européennes car la France n’est qu’un producteur parmi d’autres, loin derrière l’Allemagne et l’Espagne. Les ¾ de la production du Danemark sont tournés vers l’exportation. C’est aussi ça la réalité du métier. Lors d’une réunion d’information au bureau du Parlement européen à Paris, plusieurs syndicats ont indiqué qu’ils ne voulaient pas entendre parler du mot compétitivité (sic). Une belle position de négociation, bien française, à l’approche du débat sur la future politique agricole commune ! Les éleveurs bretons eux, savent ce que c’est la compétitivité ! Peut-on les blâmer ? Accuser le préfet de laisser faire est facile. Certes, il pourrait - il devrait- refuser les extensions d’élevage mais la pression concurrentielle est là. Il lui reste un constat désabusé : « la diminution de ce phénomène (d’algues vertes) ne pourra passer que par un changement profond de pratiques agricoles sur les secteurs concernés, ce que la profession n’est pas prête à accepter pour le moment ».

La télé ne sert-elle qu’à émouvoir ? Un reportage plus utile aurait été de savoir s’il y a des algues vertes ailleurs. Que font les Allemands, les Espagnols, de leur lisier indigène pour leur propre consommation de charcuteries ? Que font les Danois du lisier des Européens ? Et la Chine, premier producteur mondial ? Quelles solutions sont envisagées aujourd’hui ? La piste du compostage, celle des carburants ? Les grandes surfaces ne vont-elles pas se détourner immédiatement des productions locales si leur prix augmente ? Les consommateurs sont- ils prêts à payer leur porc plus cher ? Peut-on, enfin, trouver des solutions ensemble : producteurs, consommateurs, distributeurs, élus, Etat et médias. Ensemble ? Vous avez dit ensemble ? Comme c’est bizarre.

Nicolas-Jean Brehon