Emissions de CO2 : l’avertissement des experts
Article mis en ligne le 24 octobre 2009
dernière modification le 4 octobre 2014

Le consensus est net. Plusieurs ouvrages, parus entre la fin 2008 et début 2009, aboutissent aux même conclusions. Il reste moins d’une décennie pour obtenir une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Au-delà, la réaction en chaîne climatique, visible en moins de deux générations, deviendra incontrôlable.

Banle-bas de combat ! Côté climat, les avertissements pleuvent en ce début d’année et s’inscrivent dans une véritable convergence internationale. Un consensus notamment relayé par le Worldwatch Institute, un organisme américain de recherche environnemental. « Nous avons le privilège de vivre à un moment de l’histoire où nous pouvons prévenir une catastrophe climatique qui rendrait la planète hostile au développement de l’homme et de son bien-être, » rappelle ainsi Robert Engelman, l’un des directeurs de l’ouvrage « State of World 2009 » rédigé par 47 experts. Le plus grand nombre jamais rassemblés au sein de l’état des lieux annuel du Worldwatch Institute. Parue mi-janvier 2009, sa 26e édition se consacre à « un monde qui se réchauffe ». Selon ce panel d’experts, le temps manque pour suffisamment réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le calme avant la tempête...

Depuis le milieu du 18e siècle, les températures moyennes ont déjà globalement augmenté de 0,8°C. Un degré supplémentaire est d’ores et déjà attendu du fait de l’inertie thermique de la planète et des quantités de GES accumulés entretemps dans l’atmosphère. « Le monde va devoir réduire ses émissions plus drastiquement que prévu, résume le Worldwatch Institute, pour essentiellement ne plus émettre de C02 d’ici 2050 si l’on veut éviter une perturbation catastrophique du climat mondial. » Pour l’un des auteurs du rapport, le climatologue William Hare, il est même impératif que les émissions déclinent au point de devenir négatives après 2050. Sous peine de déclencher un emballement des températures et un compte à rebours climatique lourd de menaces.

A lire les scénarios du quatrième rapport de synthèse du GIEC, le groupe international d’experts de l’évolution du climat, la hausse des températures d’ici 2100 serait comprise entre + 1,1 et + 6,4 C°. C’est l’échelle adoptée par le journaliste Mark Lynas pour détailler dans « Six degrés » (Dunod) les multiples conséquences du réchauffement climatique. Acidification des océans et disparition du plancton, longues périodes de sécheresse, pénurie d’eau douce, érosion des sols et de la biodiversité, zônes côtières condamnées à être submergées... Son voyage dans le temps, au-delà des 2 degrés, se transforme en enfer sur Terre. « Les rétroactions climatiques lentes – retrait des glaces, modifications du cycle du carbone – sont désormais mieux prises en compte. Toutes tendent à confirmer l’urgence de réestimer le taux de réchauffement prévu, » écrit le journaliste britannique. Il nous reste moins d’une décennie pour commencer à réduire nos émissions. »

Deux degrés, point de bascule ?

Pour le GIEC, c’est bien en 2015 que les émissions globales doivent culminer si l’on veut que les concentrations CO² ne dépassent pas les 400 ppm (parties par million) et que les températures n’augmentent pas de plus de deux degrés. Au-delà, l’Amazonie va se transformer en désert et les sols gelés de Sibérie et du Canada « dégazer » de grandes quantités de méthane, amorçant la spirale du réchauffement. Un cercle vicieux impossible alors à réfréner.

Stabiliser le CO2 atmosphérique sous la barre des 400 ppm demande de baisser les émissions de GES de 60 % sur les dix prochaines années. Malheureusement, et malgré les accords de Kyoto, les émissions de CO2 ont augmenté de 3 % en 2007. Avec un objectif « politiquement réaliste » de 550 ppm, l’option évoquée par l’Union Européenne et le rapport Stern sur le coût du changement climatique, « nos chances alors de rester sous les trois degrés sont faibles, moins de 20 %, » calcule Mark Lynas. « Notre objectif dépend du risque que nous sommes prêt à prendre. »

La nouvelle guerre mondiale du climat

Le récent rapport du cabinet McKinsey, en janvier 2009, « Pathways for a low carbon economy » confirme la possibilité de maintenir le réchauffement en dessous de la barre des 2 C°... A condition d’y mettre les moyens. Un investissement politique et financier estimé à 530 milliards d’euros par an d’ici 2020, et à 810 milliards en 2030. La marge est étroite. « Chaque année de délai supplémentaire rend le défi encore plus difficile, avertit le rapport. Non seulement à cause de l’augmentation des émissions pendant cette année, mais aussi parce que cela conforte les infrastructures très consommatrices de CO2. »

« Le message est clair, explique l’économiste et polytechnicien Alain Grandjean, membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot, co-auteur avec Jean-Marc Jancovici de « C’est maintenant, 3 ans pour sauver le monde » (Seuil). Face au défi climatique et énergétique dont l’intensité et l’urgence deviennent croissantes, c’est maintenant qu’il faut prendre des mesures d’une ampleur très supérieure aux plans d’action décidés jusqu’ici. » Cet engagement en forme de mobilisation générale, les experts français le comparent aux cas concrets du projet Appolo, de la crise de 1929 ou la transformation des Etats-Unis, durant la Seconde Guerre Mondiale, en une économie de guerre. Lorsque la volonté politique ou l’urgence géopolitique ont dicté la refonte et l’essor de secteurs industriels complets.

« Les enjeux actuels demandent le même niveau de priorité, résume Alain Grandjean, avec des transferts d’emploi, des ruptures et reconversions industrielles à réaliser dans la poignée d’années qui vient. Il va falloir aller extrêmement vite et de manière extrêmement volontaire. » Un programme à entamer au plus tôt. « Explicitement, dans les 5 à 10 ans, » avertit McKinsey.
Maxence Layet

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