Le « Grenelle 2 » carbonisé par les lobbies
Article mis en ligne le 2 mai 2010
dernière modification le 5 mai 2010

Les syndicats des céréaliers n’ont pas lésiné sur le blé pour encourager leurs troupes à défiler mardi 27 de la Nation à la République : 150 euros de prime versés à chaque agriculteur monté à Paris avec son tracteur, soit 193 950 euros pour les 1 293 qui ont fait le déplacement. Sarko, préoccupé de renouer avec son électorat, a déjà cajolé les manifestants, en leur concédant, le 6 mars, au Salon de l’agriculture : L’environnement, ça commence à bien faire. Or le plan sanitaire du gouvernement, qui prévoyait une réduction drastique des pesticides, était justement l’un des sujets d’inquiétude de la profession. Les députés ont compris le message et récrit le « Grenelle 2 » pour donner satisfaction aux lobbies.

Engrais au secret

Examiné en séance publique à l’Assemblée, à partir du 4 mai, le projet, d’une centaine d’articles, a été sérieusement adouci en commission. Au point d’être applaudi désormais par les syndicats paysans. La plupart des amendements soutenus par la FNSEA ont été retenus par les députés », reconnaît benoîtement la fédération sur son site Internet. Et d’énumérer les concessions obtenues.

Notamment sur les pesticides : « Conditionner le retrait d’un produit phytosanitaire (engrais chimique) interdit en France mais autorisé en Europe à l’avis scientifique de l’Afssa et à une évaluation des effets socioéconomiques du retrait. » Autrement dit : avant de mettre à la poubelle un pesticide illicite, il faudra en mesurer les conséquences, en particulier financières, pour les agriculteurs. La FNSEA a aussi gagné de haute lutte la bataille sur l’affichage des caractéristiques de chaque produit. Ces histoires d’engrais étant une affaire de spécialistes, leur promotion doit se faire uniquement dans un cadre professionnel « , s’est justifié Thierry Benoît, député Nouveau Centre, à l’origine de l’amendement qui interdit leur publicité à destination du grand public. Et tant pis pour le consommateur, qui continuera à consommer sans savoir ce que contient son assiette.

L’affichage « carbone » des produits devait être imposé à partir du 1 janvier 2011, il ne l’est plus. Les agriculteurs ont encore obtenu qu’en cas de pollution de l’eau « l’intervention de la sanction financière ait lieu non plus après la seule verbalisation, mais après la condamnation de l’éleveur ». Toujours ça de gagné.

Le lobby agricole n’est pas le seul à avoir été bien servi. Dans tous les domaines, Sarko a reculé. Les entreprises de plus de 500 salariés ont obtenu un délai de deux ans avant de devoir dresser le bilan de leurs émissions de CO.. La taxe écologique sur les poids lourds, dont l’entrée en vigueur était prévue en 2010, ne s’appliquera au mieux qu’en 2012 : l’autoroute présidentielle doit rester dégagée pour Sarko.

Un amendement gouvernemental propose aussi de supprimer la procédure d’enquête publique pour toutes les demandes d’augmentation des rejets radioactifs et chimiques et des prélèvements d’eau des centrales nucléaires. C’est « la banalisation des pollutions nucléaires afin de privilégier la rentabilité des installations », s’insurge l’association Sortir du nucléaire. Les députés ont encore décidé de supprimer la possibilité d’expérimenter les péages urbains à l’entrée des villes.

Ailes brisées

Ces braves élus ont surtout renforcé les règles d’implantation d’éoliennes. Les projets de
construction seront désormais soumis au régime des installations classées. Les parcs devront
être situés à une distance minimale de 500 mètres par rapport aux habitations, et des
provisions devront être constituées pour leur démantèlement. Le lobby anti-éolien, lui,
réclame encore davantage. La Fédération environnement durable, qui est à sa tête, appelle
tous ses sympathisants à adresser des courriels aux députas pour les convaincre qu’adopter
cette loi c’est « voter pour l’affairisme et la spoliation des biens des particuliers et
assassiner tous les paysages de France ». Tout en nuances !

Heureusement que Fillon, le 14 avril, avait rassuré son monde, en expliquant que le « 
Grenelle 2 » n’était pas en « péril » et que l’écologie restait « au coeur » du projet
gouvernemental... Un coeur brisé, avait-il juste omis de préciser

Jean-Michel Thénard le canard enchainé