Taxe carbone : après la censure, l’impossible réécriture ?
Article mis en ligne le 30 décembre 2009

Sonné par le Conseil constitutionnel, François Fillon a promis un nouveau texte mais se retrouve face à un mur.

Rue 89

Pas le choix. Le gouvernement, par la voix du Premier ministre François Fillon, ne pouvait accueillir la décision du Conseil constitutionnel de censurer la taxe carbone mardi soir, qu’en déclarant qu’un nouveau texte serait présenté. Et ce dès le 20 janvier, en conseil des ministres, en prenant « pleinement compte des observations » des Sages.

Des observations qu’il convient de lire attentivement tant elles interrogent : comment une réforme présentée comme primordiale a pu être si mal préparée au point d’être rejetée en bloc ?

Qu’a dit le Conseil constitutionnel ?

Le président de la République en personne n’avait pourtant pas hésité à se mettre en avant, Nicolas Sarkozy qui avait même comparé la taxe carbone à des réformes historiques telle l’abolition de la peine de mort. La claque infligée par le Conseil constitutionnel n’en est que plus cinglante :

« Considérant que 93% des émissions de dioxyde de carbone d’origine industrielle, hors carburant, seront totalement exonérées de contribution carbone ;

que les activités assujetties à la contribution carbone représenteront moins de la moitié de la totalité des émissions de gaz à effet de serre ;

que la contribution carbone portera essentiellement sur les carburants et les produits de chauffage qui ne sont que l’une des sources d’émission de dioxyde de carbone ;

par leur importance, les régimes d’exemption totale institués sont contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. »

Pourquoi un tel rejet ?

Si cette réforme a été à un tel point rejetée par les Sages, c’est, d’une part, parce que le gouvernement avait sciemment exempté la plupart des gros pollueurs industriels, au motif qu’ils étaient déjà soumis au système des quotas européens.

Ce que le Conseil constitutionnel a balayé d’un revers de main :

« Si certaines des entreprises exemptées du paiement de la contribution carbone sont soumises au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne, il est constant que ces quotas sont actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n’entrera en vigueur qu’en 2013 et ce, progressivement jusqu’en 2027. »

D’autre part, parce que toute une série d’autres exemptions avait été ajoutée par le gouvernement et le Parlement, ce qu’a reconnu François Fillon, tout en omettant habilement d’évoquer l’influence des lobbys :

« Certaines de ces exemptions avaient été prévues par le gouvernement en raison de la situation particulière de certains secteurs économiques, notamment ceux les plus exposés à la concurrence internationale, déjà assujettis à un mécanisme de quotas qui les incite à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

D’autres exemptions avaient été ajoutées au texte à l’initiative du Parlement. »

Quelle taxe carbone pour demain ?

Malgré l’ampleur de l’obstacle qui se dresse devant l’exécutif, le Premier ministre continue de marteler que la taxe carbone demeure « une priorité du président de la République ». Les alternatives qui s’offrent au chef de l’Etat entrent pourtant en contradiction avec ses propres déclarations :

* Choisir de taxer tout le monde et indemniser les ménages les moins aisés et les secteurs qui devaient être exemptés, mais Nicolas Sarkozy ne cesse d’ironiser sur le thème « vous voulez que je vide des caisses qui sont déjà vides ? », l’Etat ayant besoin de recettes.

* Choisir de taxer tout le monde en ne redistribuant qu’aux ménages les moins aisés, ce qui reviendrait à créer une véritable taxe, mais Nicolas Sarkozy répète à l’envi : « Je n’ai pas été élu pour augmenter les impôts. »

La quadrature du cercle, donc. Pierre Radanne, ancien président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), n’a pas dit autre chose, ce mercredi matin au micro de France Inter :

« Je ne suis pas sûr que d’ici là [le 20 janvier, ndlr] que l’ensemble des réticences à cet impôts seront levées. (…) Il est absolument indispensable de construire l’adhésion à cette nouvelle taxe. On va avoir un débat qui va être extrêmement chaud dans les semaines qui viennent. » (Ecouter le son)

Même l’UMP Gilles Carrez, rapporteur du budget 2010 qui incluait la taxe carbone, a affirmé ce mercredi au Point.fr que le gouvernement allait « avoir beaucoup de difficultés à écrire un nouveau projet » :

« Finalement, il est très difficile de mettre en place une fiscalité environnementale. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel avait annulé en 2000 une bonne partie de la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). »

Alors que le dispositif devait entrer en vigueur le 1er janvier, si l’exécutif réussit le tour de force de présenter un nouveau texte en trois semaines, il faudra attendre plusieurs mois au moins pour voir la taxe carbone s’appliquer. Le temps que le Parlement en débatte et que le Conseil constitutionnel l’examine de nouveau. En supposant qu’elle soit cette fois votée et validée.

Après le désastre du sommet de Copenhague, Nicolas Sarkozy n’a plus d’autre choix que de réussir s’il ne veut pas être contraint de reconnaître son échec en matière environnementale. Il devra proposer autre chose qu’une taxe restreinte et une tonne de CO2 sous-évaluée. Avec le risque d’impopularité que cela comporte à l’aube des élections régionales.

Rue 89

Photo : François Fillon en novembre (Charles Platiau/Reuters)