Le sens du mot socialisme s’est totalement dégradé dans le triomphe du socialisme totalitaire, puis totalement discrédité dans sa chute. Le sens du mot socialisme s’est progressivement étiolé dans la social-démocratie, laquelle est arrivée à bout de souffle partout où elle a gouverné. On peut se demander si l’usage du mot est encore recommandable. Mais ce qui reste et restera ce sont les aspirations qui se sont exprimées sous ce terme : aspirations à la fois libertaires et « fraternitaires », aspirations à l’épanouissement humain et à une société meilleure.
Gonflé par la sève de ces aspirations au cours du dix-neuvième et du vingtième siècle, le socialisme a apporté une immense espérance. C’est cette espérance, morte aujourd’hui, qui ne peut être ressuscitée telle quelle. Peut-on générer une nouvelle espérance ? Il nous faut revenir aux trois questions que posait Kant il y a deux siècles : « Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? » Les socialistes du dix-neuvième siècle avaient bien compris la solidarité des trois questions. Ils ne répondirent à la troisième qu’après avoir interrogé les savoirs de leur temps, non seulement sur l’économie et la société, mais aussi sur l’homme et le monde, et l’entreprise d’investigation la plus complète et synthétique fut opérée par Karl Marx avec l’aide de Friedrich Engels. Sur ces bases cognitives, Marx a élaboré une pensée qui a donné sens, certitude, espérance aux messages socialistes et communistes.
Aujourd’hui, le problème n’est plus de savoir si la « doctrine » marxiste est morte ou non. Il est de reconnaître que les fondements cognitifs de la pensée socialiste sont inadéquats pour comprendre le monde, l’homme, la société. Pour Marx, la science apportait la certitude. Aujourd’hui, nous savons que les sciences apportent des certitudes locales mais que les théories sont scientifiques dans la mesure où elles sont réfutables, c’est-à-dire non certaines. Et, sur les questions fondamentales, la connaissance scientifique débouche sur d’insondables incertitudes. Pour Marx, la certitude scientifique éliminait l’interrogation philosophique.
Aujourd’hui, nous voyons que toutes les avancées des sciences raniment les questions philosophiques fondamentales. Marx croyait que la matière était la réalité première de l’univers. Aujourd’hui la matière apparaît comme un des aspects d’une réalité physique polymorphe apparaissant comme énergie, matière, organisation. Pour Marx, le monde était déterministe et il crut dégager des lois du devenir. Aujourd’hui, nous savons que les mondes physique, biologique, humain évoluent, chacun à leur manière, selon des dialectiques d’ordre, désordre, organisation, comportant aléas et bifurcation, et toutes menacées à terme par la destruction. Les idées d’autonomie et de liberté étaient inconcevables dans cette conception déterministe. Aujourd’hui, nous pouvons concevoir de façon scientifique l’auto-organisation et l’autoproduction, et nous pouvons comprendre que l’individu comme la société humaine sont des machines non triviales, capables d’actes inattendus et créateurs.
Litanies et pragmatisme
La conception marxienne de l’homme était unidimensionnelle et pauvre : ni l’imaginaire ni le mythe ne faisaient partie de la réalité humaine profonde : l’être humain était un Homo faber, sans intériorité, sans complexités, un producteur prométhéen voué à renverser les dieux et maîtriser l’univers. Alors que, comme l’avaient vu Montaigne, Pascal, Shakespeare, homo est sapiens démens, être complexe, multiple, portant en lui un cosmos de rêves et de fantasmes.
La conception marxienne de la société privilégiait les forces de production matérielles ; la clé du pouvoir sur la société était dans l’appropriation des forces de production ; les idées et idéologies, dont l’idée de Nation, n’étaient que de simples et illusoires super- structures ; l’Etat n’était qu’un instrument aux mains de la classe dominante ; la réalité sociale était dans le pouvoir de classes et la lutte des classes ; le mot de capitalisme suffisait pour rendre compte de nos sociétés en fait multidimensionnelles. Or aujourd’hui, comment ne pas voir qu’il y a un problème spécifique du pouvoir d’Etat, une réalité sociomythologique formidable dans la nation, une réalité propre des idées ? Comment ne pas voir les caractères complexes et multidimensionnels de la réalité anthroposociale ?
Marx croyait en la rationalité profonde de l’histoire ; il croyait le progrès scientifiquement assuré, il était certain de la mission historique du prolétariat pour créer une société sans classes et un monde fraternel. Aujourd’hui, nous savons que l’histoire ne progresse pas de façon frontale mais par déviances, se fortifiant et devenant tendances. Nous savons que le progrès n’est pas certain et que tout progrès gagné est fragile. Nous savons que la croyance dans la mission historique du prolétariat est non scientifique mais messianique : c’est la transposition sur nos vies terrestres du salut judéo-chrétien promis pour le ciel après la mort. Cette illusion a sans doute été la plus tragique et la plus dévastatrice de toutes.
Beaucoup d’idées de Marx sont et resteront fécondes. Mais les fondements de sa pensée sont désintégrés. Les fondements, donc, de l’espérance socialiste sont désintégrés. A la place, il n’y a plus rien sinon quelques formules litaniques et un pragmatisme au jour le jour. A une théorie articulée et cohérente a succédé une salade russe d’idées reçues sur la modernité, l’économie, la société, la gestion. Les dirigeants s’entourent d’experts, énarques, technocrates, éconocrates. Ils se fient au savoir parcellaire des experts qui leur semble garanti (scientifiquement, universitairement). Ils sont devenus aveugles aux formidables défis de civilisation, à tous les grands problèmes. La consultation permanente des sondages tient lieu de boussole. Le grand projet a disparu.
La conversion du socialisme à la bonne gestion ne put être qu’une réduction au gestionnarisme : celui-ci, en se vouant au jour le jour, a aussi sapé les fondements de l’espérance, d’autant plus que la gestion ne peut résoudre les problèmes les plus criants.
L’insuffisante modernisation
Le débat archaïsme/modernisme est faussé par le double sens de chacun de ces termes. Si l’archaïsme signifie répétition litanique de formules creuses sur la supériorité du socialisme, les vertus de l’union de la gauche, l’appel aux « forces de progrès », alors il faut briser avec cet archaïsme. S’il signifie le ressourcement dans les aspirations à un monde meilleur, alors il faut examiner si et comment on peut répondre à ces aspirations. Si le modernisme signifie s’adapter au présent, alors il est radicalement insuffisant car il s’agit de s’adapter au présent pour essayer de l’adapter à nos besoins. S’il signifie affronter les défis du temps présent, alors il faut être résolument moderne. De toutes façons, il ne s’agit pas seulement de s’adapter au présent. Il s’agit en même temps de préparer l’avenir. Enfin, signalons que le moderne, dans le sens où il signifie croyance au progrès garanti et en l’infaillibilité de la technique, est déjà dépassé.
Il est certain désormais qu’il faut abandonner toute Loi de l’histoire, toute croyance providentielle au Progrès, et extirper la funeste foi dans le salut terrestre. Il faut savoir que, tout en obéissant à divers déterminismes (qui du reste s’entrechoquent souvent et provoquent du chaos), l’histoire est aléatoire, connaît des bifurcations inattendues. Il faut savoir que l’action de gouverner est une action au gouvernail, où l’art de diriger est un art de se diriger dans des conditions incertaines qui peuvent devenir dramatiques. Le principe premier de l’écologie de l’action nous dit que tout acte échappe aux intentions de l’acteur pour entrer dans le jeu des interrétroactions du milieu, et il peut déclencher le contraire de l’effet souhaité.
II nous faut une pensée apte à saisir la multidimensionnalité des réalités, à reconnaître le jeu des interactions et rétroactions, à affronter les complexités plutôt que de céder aux manichéismes idéologiques ou aux mutilations technocratiques (qui ne reconnaissent que des réalités arbitrairement compartimentées, sont aveugles à ce qui n’est pas quantifiable, et ignorent les complexités humaines). Il nous faut abandonner la fausse rationalité. Les besoins humains ne sont pas seulement économiques et tehniques, mais aussi affectifs et mythologiques.
De l’homme prométhéen à l’homme prometteur
La perspective originelle du socialisme était anthropologique (concernant l’homme et son destin), mondiale (internationaliste), et civilisatrice (fraterniser le corps social, supprimer la barbarie de l’exploitation de l’homme par l’homme). On peut et doit se ressourcer dans ce projet, tout en en modifiant les termes.
L’homme de Marx devait trouver son salut en se « désaliénant », c’est-à-dire en se libérant de tout ce qui était étranger à lui-même, et en maîtrisant la nature. L’idée d’un homme « désaliéné » est irrationnelle : autonomie et dépendance sont inséparables, puisque nous dépendons de tout ce qui nous nourrit et nous développe ; nous sommes possédés par ce que nous possédons : la vie, le sexe, la culture. Les idées de libération absolue, de conquête de la nature, du salut sur terre, relèvent d’un délire abstrait.
De plus, l’expérience historique de notre siècle a montré qu’il ne suffit pas de renverser une classe dominante ni d’opérer l’appropriation collective des moyens de production pour arracher l’être humain à la domination et à l’exploitation. Les structures de la domination et de l’exploitation ont des racines à la fois profondes et complexes, et c’est en s’attaquant à toutes les faces du problème que l’on pourra espérer quelques progrès.
Nous ne pourrons éliminer le malheur ni la mort, mais nous pouvons aspirer à un progrès dans les relations entre humains, individus, groupes, ethnies, nations. L’abandon du progrès garanti par les « lois de l’histoire » n’est pas l’abandon du progrès, mais la reconnaissance de son caractère non certain et fragile. Le renoncement au meilleur des mondes n’est nullement le renoncement à un monde meilleur. Est-il possible d’envisager, dans cette perspective, une politique qui aurait pour tâche de poursuivre et développer le processus de l’hominisation dans le sens d’une amélioration des relations entre humains et d’une amélioration des sociétés humaines ?
Nous savons aujourd’hui que les possibilités cérébrales de l’être humain sont encore en très grande partie inexploitées. Nous sommes encore dans la préhistoire de l’esprit humain. Comme les possibilités sociales sont en relation avec les possibilités cérébrales, nul ne peut assurer que nos sociétés aient épuisé leurs possibilités d’amélioration et de transformation et que nous soyions arrivés en la fin de l’Histoire... Ajoutons que les développements de la technique ont rétréci la Terre, permettent à tous les points du globe d’être en communication immédiate, donnent les moyens de nourrir toute la planète et d’assurer à tous ses habitants un minimum de bien-être.
Mais les possibilités cérébrales de l’être humain sont fantastiques, non seulement pour le meilleur, mais aussi pour le pire ; si Homo sapiens démens avait dès l’origine le cerveau de Mozart, Beethoven, Pascal, Pouchkine, il avait aussi celui de Staline et Hitler... Si nous avons la possibilité de développer la planète, nous avons aussi la possibilité de la détruire.
De l’internationale à la terre-patrie
Ainsi il n’y a pas de progrès assuré, mais une possibilité incertaine, qui dépend beaucoup des prises de conscience, des volontés, du courage, de la chance... Et les prises de conscience sont devenues urgentes et primordiales. La possibilité anthropologique et sociologique de progrès restaure le principe d’espérance, mais sans certitude « scientifique », ni promesse « historique ».
La pensée socialiste voulait situer l’homme dans le monde. Or la situation de l’homme dans le monde s’est plus modifiée dans les trente dernières années qu’entre le XVI et le début du XX siècle. La terre des hommes a « paumé » son ancien univers ; le Soleil est devenu un astre lilliputien parmi des milliards d’autres dans un univers en expansion ; la Terre est perdue dans le cosmos ; c’est une petite planète de vie tiède dans un espace glacé où des astres se consument avec une violence inouïe et où des trous noirs s’autodévorent.
C’est seulement dans cette petite planète qu’il y a, à notre connaissance, une vie et une pensée consciente. C’est le jardin commun à la vie et à l’humanité. C’est la Maison commune de tous les humains. Il s’agit de reconnaître notre lien consubstantiel avec la biosphère et d’aménager la nature. Il s’agit d’abandonner le rêve prométhéen de la maîtrise de l’univers pour l’aspiration à la convivialité sur terre.
Cela semble possible puisque nous sommes dans l’ère planétaire où toutes les parties sont devenues interdépendantes les unes des autres. Mais c’est la domination, la guerre, la destruction qui ont été les artisans principaux de l’ère planétaire. Nous sommes encore à l’âge de fer planétaire. Toutefois, dès le XIX siècle, la socialisme a lié la lutte contre les barbaries de domination et d’exploitation à l’ambition de faire de la terre la grande patrie humaine.
Mais la nouvelle pensée planétaire, qui prolonge l’internationalisme, doit rompre avec deux aspects capitaux de celui-ci : l’universalisme abstrait : « les prolétaires n’ont pas de patrie » ; le révolutionnarisme abstrait : « du passé faisont table rase ».
Il nous faut comprendre à quels besoins formidables et irréductibles correspond l’idée de nation. Il nous faut, non plus opposer l’universel aux patries, mais lier concentriquement nos patries, familiales, régionales, nationales, européennes, et les intégrer dans l’univers concret de la patrie terrienne. Il ne faut plus opposer un futur radieux à un passé de servitudes et de superstitions. Toutes les cultures ont leurs vertus, leurs expériences, leurs sagesses, en même temps que leurs carences et leurs ignorances. C’est en se ressourçant dans son passé qu’un groupe humain trouve l’énergie pour affronter son présent et préparer son futur. La recherche d’un avenir meilleur doit être complémentaire et non plus antagoniste avec les ressourcements dans le passé. Le ressourcement dans le passé culturel est pour chacun une nécessité identitaire profonde, mais cette identité n’est pas incompatible avec l’identité proprement humaine en laquelle nous devons également nous ressourcer. La patrie terrestre n’est pas abstraite, puisque c’est d’elle qu’est issue l’humanité.
Le propre de ce qui est humain est l’unitas multiplex : c’est l’unité génétique, cérébrale, intellectuelle, affective d’Homo sapiens démens qui exprime ses virtualités innombrables à travers la diversité des cultures. La diversité humaine est le trésor de l’unité humaine, laquelle est le trésor de la diversité humaine.
De même qu’il faut établir une communication vivante et permanente entre passé, présent, futur, de même il faut établir une communication vivante et permanente entre les singularités culturelles, ethniques, nationales et l’univers concret d’une terre patrie de tous. Alors s’impose à nous l’impératif : civiliser la terre, solidariser, confédérer l’humanité, tout en respectant les cultures et les patries. Mais ici se dressent des formidables défis et menaces inconcevables au XIX siècle. Le monde était alors livré aux anciennes barbaries qu’avait déchaînées l’histoire humaine : guerres, haines, cruautés, mépris, fanatismes religieux et nationaux. La science, la technique, l’industrie semblaient porter dans leur développement même l’élimination de ces vieilles barbaries et le triomphe de la civilisation.
D’où la foi assurée dans le progrès de l’humanité, en dépit de quelques accidents de parcours.
Aujourd’hui, il apparaît de plus en plus clairement que les développements de la science, de la technique, de l’industrie sont ambivalents, sans qu’on puisse décider si le pire ou le meilleur d’entre elles l’emportera. Les prodigieuses élucidations qu’apporté la connaissance scientifique sont accompagnées par les régressions cognitives de la spécialisation qui empêche de percevoir le contextuel et le global. Les pouvoirs issus de la science sont non seulement bienfaisants, mais aussi destructeurs et manipulateurs. Le développement techno-économique, souhaité par et pour l’ensemble du monde, a révélé presque partout ses insuffisances et ses carences.
Et voici des formidables défis qui se posent en chaque société et pour l’humanité tout entière :
l’insuffisance du développement techno-économique,
la marche accélérée et incontrôlée de la techno-science,
les développements hypertrophiés de la techno-bureaucratie,
les développements hypertrophiés de la marchandisation et de la monétarisation de toute chose,
les problèmes de plus en plus graves posés par l’urbanisation du monde.
Ce à quoi il faut ajouter :
les dérèglements économiques et démographiques,
les régressions et piétinements démocratiques,
les dangers conjoints d’une homogénéisation civilisationnelle qui détruit les diversités culturelles et d’une balkanisation des ethnies qui rend impossible une civilisation humaine commune.
Ici se pose le problème de civilisation.
La politique de civilisation
En reprenant et développant le projet de la Révolution française, concentré dans la devise trinitaire Liberté, Egalité, Fraternité, le socialisme proposait une politique de civilisation, vouée à supprimer la barbarie des rapports humains : l’exploitation de l’homme par l’homme, l’arbitraire des pouvoirs, l’égocentrisme, l’ethnocentrisme, la cruauté, l’incompréhension. Il se vouait à une entreprise de solidarisation de la société, entreprise qui a eu certaines réussites par la voie étatique (Welfare State), mais qui n’a pu éviter la désolidarisation généralisée des relations entre individus et groupes dans la civilisation urbaine moderne.
Le socialisme s’était voué à la démocratisation de tout le tissu de la vie sociale ; sa version « soviétique » a supprimé toute démocratie et sa version social-démocrate n’a pu empêcher les régressions démocratiques qui pour des raisons diverses rongent de l’intérieur nos civilisations.
Mais surtout un problème de fond est posé par et pour ce qui semblait devoir apporter un progrès généralisé et continu de civilisation. Au-delà du malaise dans lequel, selon Freud, toute civilisation développe en elle les ferments de sa propre destruction, un nouveau malaise de civilisation s’est creusé. Il vient de la conjonction des développements urbains, techniques, bureaucratiques, industriels, capitalistes, individualistes de notre civilisation.
Le développement urbain n’a pas seulement apporté épanouissements individuels, libertés et loisirs, mais aussi l’atomisation consécutive à la perte des anciennes solidarités et la servitude de contraintes organisationnelles proprement modernes (le métro-boulot-dodo).
Le développement capitaliste a entraîné la marchandisation généralisée, y compris là où régnait le don, le service gratuit, les biens communs non monétaires, détruisant ainsi de nombreux tissus de convivialité.
La technique a imposé, dans des secteurs de plus en plus étendus de la vie humaine, la logique de la machine artificielle qui est mécanique, déterministe, spécialisée, chronométrisée. Le développement industriel apporte non seulement l’élévation des niveaux de vie, mais aussi des abaissements des qualités de vie, et les pollutions qu’il produit ont commencé à menacer la biosphère.
Ce développement qui semblait providentiel à la fin du siècle passé comporte désormais deux menaces sur les sociétés et les êtres humains : l’une extérieure vient de la dégradation écologique des milieux de vie ; l’autre, intérieure, vient de la dégradation des qualités de vie. Le développement de la logique de la machine industrielle dans les entreprises, les bureaux, les loisirs tend à répandre le standart et l’anonyme, et par là à détruire les convivialités.
L’essor des nouvelles techniques, notamment informatiques provoque perturbations économiques et chômages, alors qu’il pourrait devenir libérateur à condition d’accompagner la mutation technique par une mutation sociale.
Dans ce contexte, la crise du progrès et les incertitudes du lendemain soit réduisent le vivre à un « au jour le jour », soit transforment les ressourcements en fondamentalismes ou nationalismes clos. D’où les gigantesques problèmes de civilisation qui nécessiteraient mobilisation pour : humaniser la bureaucratie, humaniser la technique, défendre et développer les convivialités, développer les solidarités. Tous ces défis, le défi anthropologique, le défi planétaire, le défi civilisationnel, se lient dans le grand défi que lance à notre fin de siècle, partout dans le monde, l’alliance des deux barbaries, l’ancienne barbarie venue des fonds des âges, plus virulente que jamais, et la nouvelle barbarie glacée, anonyme, mécanisée, quantifiante. Aujourd’hui, la prise de conscience de la communauté de destin terrestre et de notre identité terrienne rejoint la prise de conscience des problèmes globaux et fondamentaux qui se posent à toute l’humanité.
Aujourd’hui, nous sommes dans l’ère damocléenne des menaces mortelles, avec des possibilités de destruction et d’autodestruction, y compris psychiques, qui, après le court répit des années 89-90, se sont aggravées de nouvelle manière.
La planète est en détresse : la crise du progrès affecte l’humanité entière, entraîne partout des ruptures, fait craquer les articulations, détermine les replis particularistes ; les guerres se rallument ; le monde perd la vision globale et le sens de l’intérêt général.
Civiliser la terre, transformer l’espèce humaine en humanité, devient l’objectif fondamental et global de toute politique aspirant non seulement à un progrès, mais à la survie de l’humanité. Il est dérisoire que les socialistes, frappés de myopie, cherchent à « aggiornamenter », moderniser, social-démocratiser, alors que le monde, l’Europe, la France sont affrontés aux problèmes gigantesques de la fin des Temps modernes.
Les redresseurs d’espérance
II s’agit de repenser, reformuler en termes adéquats le développement humain (et ici encore en respectant et intégrant l’apport des cultures autres que l’occidentale).
Nous avons à prendre conscience de l’aventure folle qui nous entraîne vers la désintégration, et nous devons chercher à contrôler le processus afin de provoquer la mutation vitalement nécessaire. Nous sommes dans un combat formidable entre solidarité ou barbarie. Nous sommes dans une histoire instable et incertaine où rien n’est encore joué.
Sauver la planète menacée par notre développement économique. Réguler et contrôler le développement technique. Assurer un développement humain. Civiliser la Terre. Voilà qui prolonge et transforme l’ambition socialiste originelle. Voilà des perspectives grandioses apte à mobiliser les énergies. A nouveau, et en termes dramatiques se pose la question : que peut-on espérer ?
Les processus majeurs conduisent à la régression ou la destruction. Mais celles-ci ne sont que probables. L’espérance est dans l’improbable, comme toujours dans les moments dramatiques de l’histoire où tous les grands événements positifs ont été improbables avant qu’ils adviennent : la victoire d’Athènes sur les Perses en 490-480 avant notre ère, d’où la naissance de la démocratie, la survie de la France sous Charles VII, l’effondrement de l’empire hitlérien en 1941, l’effondrement de l’empire stalinien en 1989.
L’espérance se fonde sur les possibilités humaines encore inexploitées et elle mise sur l’improbable. Ce n’est plus l’espérance apocalyptique de la lutte finale. C’est l’espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance préliminaire contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent. Ceux qui relèveront le défi viendront de divers horizons, peu importe sous quelle étiquette ils se rassembleront. Mais ils seront les porteurs contemporains des grandes aspirations historiques qui ont pendant un temps nourri le socialisme. Ce seront les redresseurs de l’espérance.
E.M pour le PS aux bons soins de L’@MI