Constructions illégales, pollution des eaux, abandon de déchets en pleine nature, forages non déclarés, braconnage, trafic de plantes ou d’animaux protégés, enfouissement ou exportation illicite de substances toxiques, circulation motorisée dans des espaces protégés... Quelque 60 000 infractions à la législation sur la protection de l’environnement sont constatées chaque année en France et environ 4 000 condamnations sont prononcées par les tribunaux.
Combien d’infractions restent impunies ? Sans doute la plus grande part. Il est peu question de renforcement de la police de l’environnement dans le projet de loi « Grenelle 1 », adopté le 23 juillet. Pourtant, les organisations non gouvernementales (ONG) environnementalistes, les avocats spécialisés et les pouvoirs publics eux-mêmes constatent l’existence d’un gouffre entre l’inflation des textes de loi et l’application du droit de l’environnement sur le terrain.
Dès 2005, un rapport de l’inspection générale de l’environnement sonnait l’alarme. Très sévère, il dénonçait un manque d’efficacité de la répression dû au morcellement et au manque de coordination des multiples corps de police concernés, à l’absence de priorités dictées par l’Etat et à la faible activité des tribunaux en la matière. Peu de choses ont changé depuis lors.
La liste des divers agents habilités à constater les infractions est pourtant très longue. Mais, dans les faits, seuls quelques corps spécialisés, dont les effectifs sont limités, s’y consacrent à plein temps : les inspecteurs des installations classées, les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), et ceux de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema).
Les services déconcentrés des ministères de l’agriculture et de l’écologie exercent aussi des missions de police. Soit en moyenne cinquante personnes par département. « On nous demande d’accomplir une mission sans nous en donner les moyens, affirme Nicolas Incarnato, secrétaire général du syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim). Certaines entreprises ne peuvent être contrôlées que tous les dix ans, sans parler de celles soumises à déclaration, que nous visitons seulement sur plainte. »
Ces agents ne peuvent guère compter sur le renfort de la gendarmerie et de la police. Les gendarmes sont certes plus actifs, du fait de leur ancrage territorial, mais les atteintes à l’environnement ne représentent qu’une faible part de leur activité. « Ils ont d’autres chats à fouetter », résume Patrick Lavarde, directeur de l’Onema. En outre, le droit de l’environnement est d’une extrême complexité. « Les conditions concrètes de constatation sont compliquées, ajoute Adrien Debré, avocat de l’association France nature environnement (FNE). Les pollueurs font tout pour ne pas se faire prendre : une entreprise qui veut se débarrasser de ses déchets toxiques dans une rivière agira de nuit, ou en été quand la surveillance se relâche. »
ECODÉLINQUANCE ÉMERGENTE
Le constat effectué en 2005 a poussé les pouvoirs publics à réagir. Les différents agents de l’Etat concernés vont travailler ensemble, sous l’autorité du préfet. « Les collaborations dépendent aujourd’hui des relations personnelles des agents, observe M. Lavarde. Il faut éviter que plusieurs gardes passent au même endroit, tandis que d’autres sont délaissés. » Par ailleurs, 200 nouveaux inspecteurs des installations classées seront recrutés - un chiffre encore insuffisant selon le Sniim.
Côté gendarmerie, la formation de spécialistes, les référents et enquêteurs atteinte à l’environnement et à la santé publique (Raesp et Eaesp) auxquels leurs collègues peuvent faire appel, est en cours. Ils sont aujourd’hui deux ou trois par département. Un Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) a été créé en 2004. « Nous avons un rôle de locomotive dans la lutte contre les atteintes à l’environnement, en informant et aidant nos camarades sur le terrain », explique son directeur Thierry Bourret.
L’effectif de ces gendarmes et policiers spécialisés a été porté à 40 personnes. L’Oclaesp s’intéresse surtout aux grosses affaires (pollution par l’amiante, trafic de médicaments) et à l’écodélinquance émergente, exportation de déchets toxiques vers les pays pauvres, ou trafic d’espèces protégées.
« Ce sont des domaines où l’on peut gagner beaucoup d’argent, avec de faibles de risques de détection et de sanctions », commente M. Bourret. Revendre de l’ivoire, des aras, des civelles ou des perce-neige peut rapporter gros. Une cargaison de bulbes de cette fleur protégée dont la valeur a été estimée à 100 000 euros a récemment été saisie dans la région Centre.
La faiblesse de la réponse pénale est l’un des inconvénients du dispositif. Le rapport de 2005 dénonçait la part « marginale » de l’action judiciaire dans ce domaine, au regard du nombre et de la gravité des atteintes. Les polices spécialisées dénoncent un taux élevé de classement sans suite, faute de temps ou d’intérêt de la part des procureurs. « La situation est très variable d’un département à l’autre, relève Adrien Debré. Les ONG jouent un rôle important, en attirant l’attention sur certaines pollutions. » « Même si cela change depuis le Grenelle, l’environnement est une matière méprisée parmi les juristes, ajoute Arnaud Gossement, avocat et porte-parole de FNE. Cela fait très peu de temps qu’elle est enseignée à l’Ecole nationale de la magistrature. »
Une circulaire d’orientation des actions pénales en matière d’environnement a fait suite au rapport de 2005, et la chancellerie affirme aujourd’hui que les parquets sont « extrêmement mobilisés ». « Un classement sans suite n’est pas forcément le signe que l’infraction n’a pas fait l’objet d’une réponse pénale », ajoute-t-on au ministère de la justice. Un rappel à la loi, une remise en état, des travaux d’intérêt général peuvent se substituer aux peines pour les infractions peu graves, très nombreuses.
Mais la faiblesse des sanctions prévues est justement dommageable, selon les spécialistes du droit de l’environnement. Il n’existe qu’un crime, celui d’incendie volontaire, en la matière. « L’abandon de déchets amiantés est un délit passible de deux ans de prison et 75 000 euros d’amende, c’est faible au regard des conséquences possibles en termes de santé publique », observe un spécialiste.
La majorité des atteintes sont des contraventions. Certaines entreprises jugent plus économiques de payer des amendes plutôt que de se mettre aux normes. Une directive européenne, votée en 2008, enjoint aux Etats-membres d’instaurer des sanctions pénales plus lourdes. « La répression participe à la prévention en dissuadant des passages à l’acte, observe M. Bourret. Nous comptons sur l’effet du Grenelle de l’environnement, y compris dans la police et la gendarmerie, pour susciter une prise de conscience. »
Gaëlle Dupont
Article paru dans l’édition du 05.08.09. (le monde)