Pour en savoir un peu plus sur « le patron » de la F1
Article mis en ligne le 15 juillet 2009
dernière modification le 21 octobre 2009

Attention, chauffard à droite !

Le grand patron de la Formule 1, Bernie Ecclestone, celui à qui Montréal doit la perte de son Grand Prix, a encore été accusé cette semaine de déraper allègrement. Mises en cause, cette fois, ses déclarations au Time favorables à Adolf Hitler et l’expression de son peu d’enthousiasme pour le système démocratique. Dérapages ? Ecclestone n’est pourtant pas le premier à faire sortir des idées politiques radicales du capot d’une voiture.

Adolf Hitler, affirme le milliardaire de la Formule 1 au Time, « était efficace ». Mais le dictateur « s’est laissé emporter ». Au point où il aurait fait des choses qu’il ne voulait pas forcément faire, croît Ecclestone, sans doute informé à ce sujet par des recherches historiques connues de lui seul...

La démocratie, ajoute l’homme de 78 ans pour le compte du Time, « n’a pas fait beaucoup de bien à nombre de pays ». L’an dernier, à la journaliste Petronella Wyatt du Daily Mail, Ecclestone admettait déjà détester la démocratie : « Je déteste la démocratie comme système politique. Elle vous empêche de réaliser des choses. »

Qui s’étonne vraiment de l’entendre aujourd’hui dire qu’on aurait dû laisser en place Saddam Hussein ? Le dictateur irakien « était le seul à pouvoir diriger le pays ». Pas un mot cependant sur les tortures, les disparitions et l’usage des gaz délétères comme moyens légitimes de contrôle social.

Est-ce vraiment un dérapage de la part d’Ecclestone, comme on l’a beaucoup écrit cette semaine, de manifester ainsi son enthousiasme pétaradant envers des « leaders forts » ? Le grand patron de la F1, lui-même souvent qualifié de « dictateur », n’est tout de même pas le premier à faire sortir des conceptions politiques radicales du capot d’une voiture. Avec ses déclarations, Ecclestone demeure en fait aussi fidèle à l’histoire de la vitesse automobile qu’à lui-même.

  Culte de la puissance

Dès le début du XXe siècle, les principaux chantres du totalitarisme fasciste célèbrent eux aussi avec énergie la gloire de la vitesse, du fer et de la puissance hurlante de l’automobile comme une manifestation sensible de leur culte d’un pouvoir fort. Marinetti, une des principales plumes au service du fascisme de Mussolini, se passionne pour le métal, sa résistance, sa précision, sa capacité à être lancé à toute vitesse. En 1909, dans son Manifeste du futurisme, il écrit : « Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux, tels des serpents à l’haleine explosive... une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace », cette déesse de la guerre.

Rien de surprenant à ce que les passionnés par ce symbole de conquête qu’est l’automobile se montrent d’un coup sensibles à un régime qui propose l’héroïsme, la virilité et la puissance comme fondements de l’énergie nationale.

Pour les fascistes, l’automobile va devenir une des plus fortes illustrations d’une affirmation politique. Tandis qu’Hitler rédige son corrosif Mein Kampf en 1924, il admire depuis la fenêtre de sa prison les voitures. Il ne songe plus bientôt qu’à utiliser ses droits d’auteur pour acheter une puissante automobile, une Mercedes Kompressor. « Je l’ai découverte dans une brochure et j’ai su, tout de suite, que ce serait celle-là », écrit-il. Hitler sera vite un des plus grands admirateurs de l’industriel américain Henry Ford, à qui il emprunta beaucoup d’idées et qu’il décora en 1938 pour ses sympathies nazies.

 Virilité ?

Aujourd’hui encore, le culte de la puissance totale demeure entrelacé avec nombre de représentations de l’automobile.

Les récentes publicités de Cialis, ce comprimé pour pallier le dysfonctionnement érectile, présentent en gros plan une énorme voiture américaine, un « muscle car », comme si la virilité était directement liée au moteur à explosion.

À la campagne et dans les banlieues, l’automobile est perçue comme un objet nécessaire à l’intégration sociale des jeunes hommes à la vie sociale urbaine moderne. D’où la présence dans ces périphéries de plus en plus d’adeptes du tuning, ce travestissement dangereux de la voiture du pauvre en Formule 1 de fortune.

Dans les foires automobiles, de ravissantes hôtesses à l’anatomie renforcée continuent d’assimiler la féminité à un objet dont bénéficie le mâle faisant corps avec sa voiture. En Europe, la marque Citroën eut longtemps beaucoup de succès en vendant aux hommes la possibilité de conduire une « DS »... Cette idée de la conquête demeure toujours associée au mâle motorisé. Le marketing des voitures « conçues pour les femmes », un marché relativement nouveau, réduit d’ailleurs volontiers la part vrombissante de la machine à ses dimensions toutes domestiques : magasinage ou simple possibilité de mouvements dans la ville. Depuis ses origines, l’automobile maintient des schémas stéréotypés de relations de pouvoir entre hommes et femmes.

En février 2000, au magazine Autosport Racing Bernie Ecclestone explique que les femmes n’auront sans doute jamais accès aux volants de la Formule 1, mais que si cela devait un jour survenir, il préfère que ce soit d’abord par « la bonne fille, peut-être une Noire avec une allure formidable, préférablement juive ou musulmane, et qui parlerait espagnol ».

En juin 2005, à l’occasion d’une quatrième place obtenue par le pilote féminin Danica Patrick à l’Indianapolis 500, Bernie Ecclestone déclare à la télévision qu’il ne croyait pas qu’elle pourrait faire si bien, ajoutant au passage qu’il a toujours pensé que les femmes « devaient être vêtues de blanc, comme tous les autres appareils électroménagers ».

 Le danger des compromis

Les femmes ont-elles plus leur place en politique qu’en course automobile ? Au Time, dans son entrevue controversée, Ecclestone citait en tout cas Margaret Thatcher, la « Dame de fer », en exemple de réussite politique et regrettait que les plus récents premiers ministres anglais, les travaillistes Tony Blair et Gordon Brown, tentent de plaire à tout le monde.

Grâce à Tony Blair, Ecclestone a pourtant réussi in extremis à défendre en 1997 la possibilité pour les compagnies de tabac de s’afficher comme commanditaires lors des courses automobiles. Selon une enquête récente de la BBC, Blair a accordé cette exemption à la F1 peu après que le Parti travailliste eut reçu un don généreux de 1,8 million de dollars de la part de... Bernie Ecclestone !

Mais en Grande-Bretagne, c’est bien la démocratie qui est coupable de ces glissades puisque c’est elle qui permet d’en arriver à de mauvais compromis, estime le patron de la F1. « Dans une démocratie, soutient Ecclestone en 2008 au Daily Mail, le premier ministre est toujours influencé par quelqu’un ou un groupe ou la presse. » Ecclestone ajoute qu’il n’a, pour sa part, « jamais voté ».

Le richissime Britannique ne se soucie pas de savoir ce que les gens pensent de son don généreux aux travaillistes, mais il ajoute volontiers avoir préféré les travaillistes aux conservateurs puisqu’avec eux, au moins, son « argent lui serait redonné »...

Avant sa séparation d’avec Slavica Radic, un mannequin plus jeune que lui d’un quart de siècle, la fortune personnelle du patron de la F1 était estimée à 4,5 milliards. En raison semble-t-il du divorce, le milliardaire s’est résolu à vendre sa nouvelle maison gothique de Londres, située dans les chics jardins Kensington et achetée pour 110 millions.

La maison de 15 chambres, rénovée à grands frais il y a trois ans, propose à ses visiteurs des marbres venus des mêmes carrières que le Taj Mahal, ainsi que des bains turcs et un salon de coiffure. Un stationnement pour 20 automobiles a été construit sous la maison au cours de ces rénovations, qui ont nécessité un chantier occupé par 400 ouvriers tous les jours. En fait, cette maison tape-à-l’oeil n’a jamais été habitée par le couple Eccleston puisque Slavica Ecclestone a refusé d’y emménager, préférant vivre ailleurs, notamment en Suisse, où son mari est propriétaire d’un chic et important centre de villégiature en montagne.

 

Un super premier ministre

Cette semaine, Ecclestone n’hésitait pas à présenter au Time son bon ami et ancien avocat-conseil Max Mosley comme quelqu’un qui ferait « un super travail comme premier ministre », tout en considérant que son passé ne constituerait pas un problème.

Max Mosley, président de la Fédération internationale automobile (FIA), est le fils de l’ancien leader fasciste anglais Oswald Mosley,

admirateur d’Hitler et fondateur du British Union of Fascists, un mouvement radical d’inspiration nazie qui menaça le pouvoir démocratique en place, du moins au début des années 1930. Avec ses 40 000 membres vêtus de chemises noires, le père de Max Mosley proposait un régime totalitaire qui appuierait la monarchie britannique en tant que symbole d’un pouvoir impérial.

L’an passé, les aventures sexuelles sadomasochistes de Max Mosley, filmées à son insu dans un chic bordel où il s’adonnait en allemand à un curieux jeu de rôle très carcéral, l’ont placé dans un grave embarras par rapport à son histoire familiale.

Fallait-il qu’Ecclestone se déclare cette semaine favorable à des chefs totalitaires pour que l’on voie enfin dans la Formule 1 la part moderne du fascisme qui l’habite depuis les origines du sport automobile ? Est-ce bien à cet univers aussi dangereux que grotesque que Montréal pense encore contribuer pour des millions de dollars afin de récupérer un Grand Prix de course automobile ?

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