Pollution : fais sauter un puits de gaz de schiste pour voir !
Article mis en ligne le 2 mars 2011
dernière modification le 4 octobre 2014

SOURCE RUE89

Pour mieux comprendre les risques liés à l’exploitation des gaz de schiste, Owni vous propose de « fracturer » vous-même un puits avec une application interactive.

« Du sable, de l’eau et de la pression. » Sur le site officiel d’Halliburton, la recette de l’extraction des gaz de schiste ressemble à celle d’un pâté de sable. Le mélange original n’en était peut-être pas loin quand il a été injecté pour la première fois par la compagnie en 1947 pour remuer le fond des puits de pétrole ou de gaz du champs de Hugoton au Texas afin d’en extraire les dernières gouttes.

Mais ses derniers perfectionnements dans les années 80 et 90 ont poussé la technique de « fracturation hydraulique » à des degrés de raffinement qui confinent au secret défense : interrogé par l’Agence de protection de l’environnement américaine, le géant des hydrocarbures a refusé de livrer la recette de sa potion magique, soupçonnée par les autorités sanitaires d’avoir empoisonné les réserves d’eau potable aux abords de certains puits d’extraction de gaz de schiste utilisant sa technique.

Pour toute aumône aux curieux, Halliburton livre une dizaine d’ingrédients, dont trois types de sables et de l’eau, sur son site internet. Mais, comme pour le Coca, la touche qui fait la différence manque à l’énumération.

De simple système « d’activation » des puits de pétrole et de gaz, cette technologie, alliée à des matériaux souples résistant à de très hautes pressions et à de nouveaux systèmes de forages horizontaux, a rendu accessible les immenses réserves de gaz contenues dans les couches de schiste, dissimulées à 1 200, 2 500 et parfois même 3 000 m sous la surface de la Terre.

Présents quasiment partout sur la planète, ces gisements de milliers de milliards de mètres cubes de gaz représentent une autonomie énergétique potentielle pour les pays… et une manne de contrats pour Halliburton et ses concurrents, Schlumberger ou Baker Hughes.
A la sortie du puits : CO2, NOx et autres gaz à effet de serre

Pour chaque puits, le principe est le même :

* les ingénieurs creusent les fondements du puits,
* installent un coffre de béton,
* commence un forage vertical de 30 cm de diamètre jusqu’à plus de 1 200 m de profondeur avant de « couder » le forage qui avance, horizontalement, dans la couche de schiste censée renfermer du gaz.

Après avoir fait exploser une charge au fond du puits, les ingénieurs y injectent à très haute pression un mélange d’eau, de sable et de divers produits chimiques facilitant le processus : propulsé à 600 bars (deux fois la puissance d’une lance à incendie Cobra), le liquide écarte les fissures formées par l’explosion que le sable garde ouvertes pour en faire échapper le gaz qui remonte avec la moitié du liquide (le reste étant capturé par la roche).

Pour chacune de ses fracturations, 7 à 15 000 m3 d’eau sont nécessaires, dont seulement la moitié remonte à la surface. Or, c’est justement sur le chemin du retour que les dégâts peuvent survenir.

A peine sorti, le gaz est injecté dans un séparateur qui le dissocie de l’eau remontée du puits avant d’être pompée vers un condensateur, sorte d’immense réservoir de 40 000 à 80 000 litres. Le gaz y est séparé de ses autres composantes, laissant échapper des vapeurs d’hydrocarbures : CO2, NOx et autres gaz à effet de serre.

Autant de polluants dont la dispersion dans l’air était inconnue avant les travaux du professeur Al Armendariz du département d’ingénierie civile et environnementale de l’université méthodiste de Dallas.

61% des maladies causées par l’exposition aux gaz toxiques

Autre petit secret, les mystérieux liquides de fracturation s’échappent parfois par des failles dans le coffrage du puits, atteignant des sources ou des roches poreuses par lesquelles ils s’infiltrent parfois avec du gaz jusqu’à atteindre des nappes phréatiques et à remonter dans les tuyaux, mêlés à une eau plus potable du tout.

Pour percer le mystère de ces 0,5% de composants « autres » que l’eau et le sable, le docteur Wilma Subra a suivi en Louisiane le ballet des camions amenant les produits chimiques pour le mélange et celui des tankers emportant au loin les eaux usagées, jusqu’à pouvoir prélever un échantillon à la composition bien plus complexe que la dizaine d’ingrédients suggérés par le site d’Halliburton.

Dans ses éprouvettes, elle a énuméré plus de 596 substances chimiques qui, en plus de leurs qualités d’inhibiteur d’acides, d’anticorrosif ou encore d’épaississant, ont pour certaines des effets dramatiques sur la santé (cancérigènes, tels que l’ethylbenzène, perturbateurs endocriniens, comme le diethylène glycol).

Prenant pour échantillon représentatif la ville texane de Dish, Wilma Subra a conclu que 61% des problèmes de santé constatés chez les habitants de la ville étaient causés par des taux de polluants supérieurs aux normes environnementales admises.

Exposés à des quantités importantes d’ozone, de soufre, de gaz naturel ou d’éther, les habitants ressentaient plusieurs fois par jour nausées, maux de tête, vomissement… jusqu’à des affections respiratoires : 58% des personnes observées souffraient de problèmes de sinus.
L’extraction responsable de faibles tremblements de terre

La corrélation entre fracturation hydraulique et activité sismique reste à établir : Brian Stump et Chris Hayward chercheurs à la Southern methodist university de Dallas, ont enquêté sur le site de Fort Worth au Texas. Ils mettent en garde :

« Nous avons établi un lien entre la sismicité, le moment et le lieu de l’injection d’eau [dans le puits de fracturation, ndlr] ; ce qu’il nous manque ce sont des données sur la sous-surface de cette zone, sur la porosité et la perméabilité de la roche, le chemin qu’empruntent les fluides, et comment ces éléments pourraient provoquer un séisme. »

Les chercheurs et les gaziers s’accordent à dire que la technique d’extraction en elle-même provoque des micro-séismes, « jusqu’à une magnitude de 3,4 sur l’échelle de Richter en surface », selon le géologue Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Un faible tremblement de terre, perceptible par l’être humain.

Cependant, le réel impact de la fracturation hydraulique reste à prouver, et des études sont encore nécessaires pour déterminer l’influence de ces fissures dans des zones sismiques.

Afin d’établir au plus vite les conséquences de ce procédé, Brian Stump a appelé à une « collaboration entre les universités, l’Etat du Texas, les autorités locales, le secteur de l’énergie, et, éventuellement, le gouvernement fédéral pour l’étude de la question de la sismicité ».

Vue leur mauvaise volonté à livrer la recette de leurs potions magiques, difficile de croire que les sociétés gazières reconnaîtront demain être les auteurs de tremblement de terre.

Illustration pour Owni.fr : Marion Boucharlat.

Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert

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