Le suicide des agriculteurs gangrène les campagnes
Article mis en ligne le 28 février 2011
dernière modification le 4 octobre 2014

Face à ce phénomène inquiétant, l’Institut de veille sanitaire et la Mutualité sociale agricole (MSA) lancent une étude nationale pour quantifier plus précisément le nombre de suicides et prendre des mesures préventives.

Les drames oubliés. En avril dernier, le père de Clément, agriculteur près de Bergerac en Dordogne, s’est pendu dans son garage parce qu’il ne pouvait plus faire face à des problèmes financiers. « Je suis désolé de ce que je vais faire mais je n’en peux plus. Prends soin des terres et des animaux. Continue ce que j’ai fait. Adieu », a-t-il écrit à son fils avant de commettre l’irréversible. Une semaine avant cet acte, la banque lui avait rejeté un chèque de 1500 euros pour acheter du gasoil et faire rouler son tracteur pour ses semis. Un acte humiliant et mal vécu par cet homme qui exploitait sa ferme depuis 40 ans. Ce témoignage remet sur le devant de la scène la question sensible mais toujours d’actualité du suicide chez les agriculteurs. Il fait partie d’un long reportage réalisé à l’automne dernier par Harry Roselmack,intitulé Avec les résistants du monde paysan. Il sera diffusé ce mardi en fin de soirée sur TF1.

Malheureusement les exemples de ce type sont légion. Surcharge de travail, stress, isolement, absence de loisirs ou prix de vente trop bas sont autant de raisons qui poussent de nombreux exploitants à baisser les bras. La volatilité qui règne désormais sur les marchés agricoles est dangereuse « pour la santé psychique des paysans », reconnaît par exemple le psychologue François-Régis Lenoir, auteur de plusieurs enquêtes sur le stress chez les agriculteurs et exploitant dans les Ardennes. Sans oublier les particularités émotionnelles du monde agricole. « La difficulté de se projeter dans l’avenir, les questions autour de la transmission et la rupture de la tradition agricole familiale depuis plusieurs générations sont aussi des facteurs très traumatisants pour les agriculteurs », explique aussi le docteur Jean-Jacques Laplante, médecin du travail à la MSA (Mutualité sociale agricole) qui a effectué une étude en profondeur auprès de 600 exploitants sur le malaise des paysans de 1999 à 2005.

Des chiffres différents selon les organismes

Dans les cas les plus désespérés, les agriculteurs n’hésitent pas à mettre fin à leurs jours. À ce jour, aucune statistique officielle n’existe. Selon certaines sources, ils seraient chaque année entre 400 et 800 à se suicider. « Le dernier chiffre disponible est issu de la cohorte Cosmop (Cohorte pour la surveillance de la mortalité par profession) réalisée par l’Institut de veille sanitaire (InVs), explique le docteur Laplante. Le nombre des suicides chez les agriculteurs se situe par extrapolation autour de 400 par an, soit un peu plus d’un par jour » commente-t-il. « Les agriculteurs exploitants sont les plus touchés par les décès par suicide, avec un risque relatif 3,1 fois supérieur à celui des cadres pour les hommes, et 2,2 fois plus élevé pour les femmes », conclut la cohorte Cosmop.

De son côté, l’association des producteurs de lait indépendants (Apli) qui a organisé l’an dernier deux marches funèbres pour dénoncer cette catastrophe avance pour sa part le chiffre de 800 suicides par an. Dans la filière lait, même si le cours du lait a repris des couleurs en 2010, -autour de 300 euros les 1000 litres, soit le prix de 1985-, bon nombre d’éleveurs travaillent encore à perte. « La tranche d’âge qui souffre le plus de la crise est celle située entre 30 et 50 ans, explique Damien Legault, exploitant quadragénaire avec sa femme à Vritz en Loire-Atlantique . Nous n’arrivions pas à nous en sortir et nous avons dû nous séparer de plus de la moitié de notre cheptel et arrêter notre atelier veaux de boucherie. Nous nous sommes convertis en bio avec 65 vaches laitières », ajoute l’éleveur très impliqué dans l’association SOS paysans. Le désespoir l’a bien gagné quand il est allé voir sa banque et qu’il a du déposer le bilan - un phénomène encore trop rare en agriculture - pour repartir du bon pied en procédure de redressement judiciaire. « Je ne pouvais pas fuir mes responsabilités. J’ai trois enfants et ma femme m’a beaucoup aidé. J’ai aussi bien été épaulé par les gens aux alentours et SOS paysans. Par contre, certains fournisseurs ou banquiers ne prennent pas de gants et vous poussent plutôt à mettre la corde autour du cou ». Les agriculteurs le disent tous : « Quand les affaires vont mal, on a plutôt tendance à s’isoler. C’est un piège qu’il faut éviter, insiste de son côté Jean-Claude Foubert, laitier à Contest en Mayenne. Il faut se mettre en réseau. Quand on apprend que quelqu’un ne va pas bien, on cherche où il en est dans son mal être pour l’aider psychologiquement. On l’accompagne aussi pour ses démarches administratives », poursuit l’agriculteur, également membre de Solidarité paysans.

Sonder le malaise agricole

Mais tous les paysans n’ont plus la force pour réagir comme Damien ou d’autres. « Il y a dix huit mois, mon voisin, célibataire, exploitant une cinquantaine d’hectares s’est donné la mort alors qu’il ne s’en sortait plus face une surcharge de travail », déplore Damien.

Face à ces drames, l’InVS et la Mutualité sociale agricole (MSA) vont enfin travailler ensemble pour tenter de quantifier plus précisément le nombre annuel de suicides d’agriculteurs et prendre les mesures adéquates pour répondre à cette détresse et faire de la prévention. « L’étude Coset va être lancée à l’échelle nationale, indique une porte parole de l’InVs. Nous sommes en phase pilote et nous espérons que des milliers d’agriculteurs participeront à Coset ». Une décision saluée par l’un des deux syndicats minoritaires agricoles français. « Nous nous félicitons du projet d’étude de l’Institut de Veille Sanitaire et de la MSA. Nous tenons cependant à rappeler que la MSA était jusqu’à présent restée hermétique à ses sollicitations », réagit une porte parole de la Coordination Rurale.

Rendez-vous dans plusieurs années pour évaluer les résultats. En attendant, les groupes de prévention du suicide font ce qu’elles peuvent ici ou là. Mais faute de mesures d’urgence d’autres drames risquent d’arriver… Le syndicat majoritaire agricole français, la FNSEA indique pour sa part que la prévention du suicide des exploitants agricoles fait partie des « priorités » du mandat de son nouveau président, Xavier Beulin. « En agriculture, il y a une catégorie de risques qu’on n’a pas dans les autres métiers, à savoir les aléas climatiques et sanitaires, souligne-t-il. Le dépôt de bilan en agriculture se pratique très peu alors que la procédure de redressement judiciaire peut permettre à un agriculteur qui connaît une difficulté conjoncturelle de rebondir », poursuit-il. Une idée qui fait son chemin et devra être accompagnée de moyens spécifiques pour que la profession agricole ne figure plus parmi les métiers où il existe les plus forts taux de suicides.

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