La bataille des gaz de schiste ne fait que commencer
Article mis en ligne le 21 mars 2012

En 2011, ils avaient dû faire profil bas. Les soutiers du gaz de schiste avaient été pris de court par la colère de citoyens furieux que l’Etat français envisage, et ce sans même leur demander leur avis, de vendre les richesses de leur sous-sol et d’hypothéquer leur cadre de vie. Le vote en juillet d’une loi interdisant la fracturation hydraulique - cette technique dispendieuse en eau et qui peut entraîner de graves pollutions des nappes phréatiques - fracassait leurs derniers espoirs de forer rapidement le quart du territoire concédé ou en passe de l’être. Total devenait la risée des industriels du secteur, puisqu’incapable de faire la loi - au sens propre comme au sens figuré - dans son propre pays.

En ce début 2012, le vent a tourné. Depuis l’abrogation en octobre dernier des trois permis emblématiques de gaz de schiste, les industriels du pétrole et du gaz essaient de reprendre la main. La balance extérieure de la France est plombée par les importations d’hydrocarbures et le nucléaire n’a plus autant la cote. Quant aux programmes d’efficacité énergétiques et de développement des énergies renouvelables, ils ont été torpillés. L’heure est donc propice pour lancer l’offensive. Objectif ? Rendre les gaz de schiste acceptables auprès de l’opinion publique. En novlangue, « faire passer la pilule » se dit « acceptabilité sociale ».

En quoi consiste cette stratégie marketing ? Comment donner envie aux Français que soit exploité « leur » gaz de schiste ? En leur racontant une belle histoire. En leur disant que la fracturation hydraulique « made in France » est une technique maîtrisée et maîtrisable à 100 % et que la mise en exploitation de milliers de puits n’aura que des impacts marginaux sur l’eau, l’air et les paysages d’Ardèche, du Jura ou du plateau du Larzac. En leur faisant croire que la mise à disposition de quantités colossales de gaz naturel représente une chance pour limiter les effets du changement climatique. En leur murmurant que le prix de l’énergie va mécaniquement chuter quand seront forés les premiers puits « français ». En expliquant, enfin, que gaz de schiste rime avec emplois et balance commerciale équilibrée. Mais tout cela n’est que mensonge, escroquerie intellectuelle et contre-vérités scientifiques.

Les Etats-Unis nous offrent un précipité sans concession des conséquences sanitaires des gaz de schiste. Plus de 500 000 puits y ont été forés en l’espace d’une petite dizaine d’années. Sans aucun contrôle. Car l’administration Bush fils avait tout corseté pour empêcher les autorités en charge de l’environnement de surveiller les conséquences de ces forages. « Pas d’analyse, donc pas de problème », auraient dit les Shadocks... Sauf que devant la multiplication des incidents, accidents et pollutions, des scientifiques émérites ont chaussé leurs bottes. Leurs conclusions sont accablantes. Nappes phréatiques souillées, bétails, poissons, hommes et femmes empoisonnés, terres contaminées, air corrompu ; les poisons que l’on injecte et qui remontent du sol ont stérilisé des régions entières.

Avec cette pseudo « révolution énergétique » des gaz de schiste, la limitation du réchauffement climatique à 2 degrés avant la fin de siècle sera définitivement balayée. Deux études publiées dans des revues scientifiques de premier ordre démontrent que son impact sur le climat est pire encore que celui du charbon, à cause des importantes fuites de méthane des puits. Sur le plan économique, les quelques poignées d’emplois très temporaires créés pour exploiter le gaz de schiste ne compenseront jamais les milliers d’emplois liés à l’agriculture et au tourisme et qui nécessitent de préserver la qualité des territoires. Sans oublier les dizaines de milliers d’emplois dans les énergies renouvelables. C’est donc à cela que pourrait ressembler, chez nous, le monde que sont en train d’essayer de nous vendre les industriels de l’énergie.

A la lecture des éditoriaux énamourés et des interviews complaisantes qui fleurissent ces jours-ci, cette stratégie du mensonge semble pourtant payante. Et les candidats à l’élection présidentielle, qu’en pensent-ils ? Les écologistes et le Front de Gauche sont résolument contre. Le président-candidat jure devant les caméras que « la fragmentation (sic) hydraulique, c’est non ». Mais les faits sont têtus : les permis du bassin de Paris, qui supposaient il y a quelques mois encore, l’utilisation de la fracturation hydraulique, sont toujours valides et l’administration française continue de délivrer des permis d’exploration pour du gaz et du pétrole de schiste. C’est que Nicolas Sarkozy compte parmi ses amis deux capitaines d’industrie très impliqués dans la partie : Albert Frère et Paul Desmarais. Le premier détient 5 % du capital de Total. Le second a des participations dans Arkema, fabricant de produits utilisés dans la fracturation hydraulique. Ensemble, ils ont la main sur 5,2 % de GDF Suez, dont le PDG Gérard Mestrallet estime « qu’il ne faut pas a priori fermer la porte pour toujours à l’exploitation de cette ressource, cela serait une erreur majeure ».

Une position à l’unisson de celle d’Eric Besson, ministre de tutelle, puisque l’Etat français est actionnaire de GDF Suez à hauteur de 35,7 %. De son côté, François Hollande ne veut insulter personne, et surtout pas l’avenir... Il y a quelques jours, il déclarait « qu’il ne faut jamais rien écarter, surtout si des recherches démontrent qu’on peut obtenir ce gaz sans nuire à la nature ». Une position qui démontre que le candidat socialiste n’a pas du tout saisi les urgences énergétiques, climatiques et écologiques qui se dressent devant nous.

Une énergie bon marché... Une énergie moins émettrice de CO2. Une énergie exploitée « proprement ». Une énergie « made in France ». A les croire, ils auraient donc trouvé la nouvelle pierre philosophale. Comme n’importe quel conte merveilleux, une telle histoire s’appuie sur des opérations magiques et des événements miraculeux. Mais nous ne sommes plus des enfants et la réalité est cruelle. Et complexe. Face à la fin du mythe d’une croissance infinie, place aux véritables défis : ceux de la sobriété énergétique et de la résilience de nos sociétés. Pas de quoi remplir la poche des actionnaires mais une étape essentielle de la transition écologique. Pour réenchanter le monde. Et le réinventer.

Geneviève Azam, Attac ;

Emmanuel Poilane, directeur de la fondation France Libertés ;

Martine Laplante, des Amis de la Terre ;

Sandrine Mathy, présidente du Réseau action climat (RAC).

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