La réforme territoriale, une « recentralisation » qui n’ose pas dire son nom
Article mis en ligne le 12 mars 2010

NDLR : Alors que le battage sur les élections régionales bat son plein, il est peut-être opportun de rappeler que ce fonctionnement est théoriquement voué à disparaître dans 4 ans.... Après la « pause » (qui sous-entend une reprise ensuite) annoncée.

Le Sénat engage aujourd’hui le débat sur le deuxième des quatre projets de loi qui ont pour objectif de réformer les collectivités territoriales françaises. Cette réforme, je le dis d’emblée, je la refuse. Elle opère en effet un changement brutal de cap par rapport au consensus qui s’était établi sur le nécessaire approfondissement de la décentralisation et de la régionalisation dans notre pays, après les débats souvent vifs qui avaient marqué le vote des lois de 1982-1983 alors que j’étais premier ministre. Les gouvernements qui ont suivi se sont tous inscrits dans cette démarche, y compris celui de Jean-Pierre Raffarin, qui a même tenu à inscrire dans la Constitution, en mars 2003, que « la France est une République décentralisée ».

Or, que propose aujourd’hui l’actuel gouvernement ? Ni plus ni moins que d’affaiblir les assemblées départementale et régionale face au pouvoir d’Etat et d’opérer ainsi une recentralisation qui n’ose pas dire son nom. Cette orientation était déjà apparue à la fin des travaux du comité Balladur qui, en avançant plusieurs propositions auxquelles je m’étais opposé, ont préparé la contre-réforme qu’on veut nous imposer.

Qui peut croire en effet que le futur corps hybride des « conseillers territoriaux », appelés à remplacer les conseillers départementaux et les conseillers régionaux, pourra faire vivre dans le mouvement ces deux assemblées aux compétences et à l’esprit si différents ? N’en doutons pas : ni l’assemblée départementale, fille de la Révolution française de 1789 et plus encore des grandes lois de la IIIe République, qui conduit une mission de proximité et de solidarité, notamment en milieu rural, ni l’assemblée régionale, dernière-née de nos institutions, qui porte le développement économique et la vision d’avenir d’un territoire, n’en sortiront indemnes.

J’ajoute que le mode de scrutin qu’on leur réserve - uninominal à un tour - est non seulement contraire à la tradition du système politique français, mais il porte un coup d’arrêt sans appel à la mise en oeuvre de la parité si chèrement acquise et encore largement inachevée. Il est d’ailleurs fortement contesté dans les rangs mêmes de la majorité.

Je précise, par ailleurs, qu’il serait plus simple de doter le conseil départemental (ancien conseil général) d’un mode de scrutin plus adapté aux évolutions de la société. Je propose qu’il soit calqué sur le scrutin municipal (proportionnel de liste à deux tours avec prime majoritaire). Dans les départements les plus grands et les plus peuplés ou de montagne, une loi électorale déterminera les modalités particulières permettant d’assurer la nécessaire proximité des élus avec leurs électeurs.

Cette vision n’est pas partagée par tous, y compris à gauche. Ce mode de scrutin a pourtant fait ses preuves au niveau municipal et est largement approuvé. Pourquoi ne pas l’appliquer au niveau départemental ?

Ce mauvais coup qu’on veut porter aux collectivités territoriales n’est pas étonnant. Depuis son élection, le président de la République a souvent mis en cause leur bilan, les accusant d’être dispendieuses alors qu’elles réalisent 75 % de l’investissement public et ne contribuent qu’à hauteur de 10 % de la dette publique.

Après la suppression de la taxe professionnelle qui va asphyxier financièrement les collectivités territoriales et qui constitue un véritable hold-up au profit des entreprises, je ne peux m’empêcher de penser que cette réforme est aussi inspirée par la volonté de prendre une revanche à terme sur la victoire de la gauche aux dernières élections départementales et régionales. D’autant que les élections régionales de mars semblent s’annoncer difficiles pour la majorité, au dire même de certains de ses représentants !

Je ne nie pas que certains points positifs figurent dans ce projet. Il en est ainsi des dispositions qui organisent l’achèvement de la carte de l’intercommunalité. Après un départ un peu lent, cette démarche a connu, avec les lois Joxe (1992) et Chevènement (1999), une montée en puissance sans précédent au cours des dernières années.

Aujourd’hui, l’intercommunalité couvre 90 % du territoire et concerne cinquante-quatre millions de Français. Il faut poursuivre jusqu’à son terme ce mouvement de regroupement des communes pour sortir sur la durée de cette exception française du maintien de 36 700 communes. Il y faudra peut-être du temps. Raison de plus pour en avoir la volonté. Le projet prévoit aussi la création de métropoles. Je suis l’un des initiateurs de cette idée. J’approuve cette proposition dans son principe. Depuis longtemps, je considère que notre pays souffre de ne pas disposer de métropoles puissantes capables de concurrencer les grandes villes européennes.

C’est pourquoi j’ai soutenu la proposition du comité Balladur de créer, par la loi, onze métropoles, tout en considérant qu’il fallait aller beaucoup plus loin. Je pense que chaque région devrait pouvoir, avec le temps, se développer autour d’une ville métropole et, inversement, une métropole devrait pouvoir compter sur une région puissante pour se développer.

Sur ce point, le projet du gouvernement ne me semble pas répondre aux exigences de la poursuite du développement du fait urbain dans les prochaines années. En effet, le nombre de métropoles qui seraient créées par ce projet n’excéderait pas huit. Elles le seraient sur une base volontaire et avec le statut d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Ce qui est un comble quand on veut tendre à l’universalité et affirmer la force de notre pays.

Alors qu’elles seront dotées de larges compétences, ce statut de seconde zone est une offense au bon sens ! Je propose donc d’en faire des collectivités territoriales de plein exercice, dotées de la clause de compétence générale. Mais je crains malheureusement de ne pas être entendu et que, sur cet aspect essentiel pour l’avenir politique et économique de la France, nous ne passions à côté du rendez-vous de l’Histoire par manque d’ambition et par une curieuse aversion pour tout ce qui pourrait devenir plus grand, plus fort, plus puissant.

On le voit, les raisons sont légion pour que, avec la gauche, je m’oppose vigoureusement à une réforme qui replonge notre pays dans un passé révolu. J’espère que les Français rejetteront cette contre-réforme antidémocratique et rétrograde, très attachés qu’ils sont à la démarche décentralisatrice dont ils ont pu mesurer depuis près de trente ans les effets positifs sur leur vie quotidienne, notamment en termes de qualité de service public et de proximité.

Si la France est bien cette « République décentralisée » qu’a votée une large majorité, elle se doit d’aller de l’avant et non de reculer.

Pierre Mauroy est sénateur PS du Nord, ancien premier ministre (1981-1984), ancien membre du Comité pour la réforme de collectivités locales présidé par Edouard Balladur (2008-2009).